Sauve qui peut, le bateau coule

 

 

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Lorsque le déluge s'abat précisément sur notre tête, on se doute bien qu'un simple parapluie ne servira pas à grand chose. Au pire, il se braquera, lui aussi, contre vous, cherchant à s'envoler avec les vents contraires, ceux qui vous font valdinguer, obligeant une retraite anticipée. Rien n'est aussi important que de survivre, finalement.

En cas de naufrage, on ne peut pas demander d'être sauvé en premier, sous le prétexte qu'on est plus important, plus riche ou plus intelligent. Lorsqu'il s'agit de survie, je crois que les paramètres habituels changent, ne laissant de place qu'à l'instinct, s'il nous en reste encore, à force de vouloir que nous soyons tous fait du même moule, même éducation, même morphologie, idéologie, nous transformant en petits êtres obéissants, sans aucune réserve de courage, et ça, c'est carrément la catastrophe. C'est bien la différence qui apporte la surprise dans des situations extrêmes. Quand le ciel menace de s'écrouler, il n'y a pas mille options. On peut attendre comme une truffe que ça passe, et en effet, ça finit par s'arrêter. On peut aussi interagir avec les éléments, et c'est du quitte ou double.

L'option de la patience a ceci de bon qu'elle permet un recentrage sur l'essentiel, ce que nous avons tendance à mettre de côté. Dans tous les cas, je ne vois pas très bien ce que l'on peut tenter lorsqu'on se retrouve au centre de l'œil du cyclone, à part croiser les doigts, s'il nous en reste. Lorsqu'il va se déplacer, il faudra bénéficier d'une sacrée dose de chance pour en réchapper, et là, rien ne sert de courir, il faut partir à point. Le fameux point de départ, celui qui donne au starting block sa dimension d'échappée, qui ressemblerait à cette nécessité de galoper, même à contre courant, une tentative désespérée, et pour le moins désespérante aussi. A quoi bon s'acharner à vouloir à tout prix se cramponner aux ruines ? Sont-elles si importantes qu'elles méritent le sacrifice d'une vie ?


Le choix de la fuite paraît, à première vue, peu ragoutant, puisqu'elle nous renvoie à l'image peu courageuse d'une personne incapable d'affronter les évènements. Diantre ! Depuis l'enfance, nous sommes dopés aux super héros, comics, contes abracadabrants dans lesquels, presque toujours, le courage représente l'arme la plus puissante, celle à laquelle rien de résiste.
Evidemment, une fois plongés dans la réalité, il y a comme qui dirait une légère déconvenue pour bon nombre d'entre nous. Et ça, c'est la première mauvaise surprise.
Très vite, nous sommes bien obligés de convenir que de se positionner en tête de mule ne nous amène rien de bon. Au mieux, on passe pour une personne obtuse, incapable de reconsidérer ses opinions, immature, presque.
C'est tout de même un comble !


On nous aurait donc menti.
Ah.


Nous avions vite compris pour Baba Yaga et sa maison avec des pattes de poulet, Pollux et le manège enchanté, Peter Pan et son île aux enfants perdus, n'exagérons pas.
Mais enfin, reconnaissons que la pilule est amère.
Les dragons, les licornes, on reste coi, on pense ce qu'on veut, et personne n'ira vérifier que notre petite bulle d'innocence, celle à laquelle nous nous cramponnons, bon gré, mal gré, reste invisible à peu près. Tout va bien.
Mais punaise, d'être obligé d'admettre que le courage nous fait passer pour un imbécile heureux, c'est un cran au-dessus dans le déni d'une enfance bercée par les bons sentiments, les purs, les vrais. Cela ouvrirait une brèche insoutenable vers le meilleur que l'on puisse donner, vous savez, ces broutilles comme l'abnégation, la gratuité, la générosité, l'amour.


Comment ça, ça n'existe pas ?


Il apparaît nécessaire que je vous démontre séance tenante que vous ne savez pas voir ce qui est bon, autour de vous.
Oubliez tout ce qui fait sensation, parce qu'en vérité, seuls les mensonges et les exagérations font le buzz dans les multimédias dont nous sommes tous friands, en connexion continue.
Descendez dans votre quartier.
Sans votre téléphone.
Aïe.
Déjà, même pour aller chercher le pain, ça vous paraît impossible ?
C'est pas gagné.
Vous êtes contaminé, je le crains.
Mais comment voulez-vous regarder les choses avec vos yeux, les percevoir à travers vos pupilles, sans filtre, ni lunettes de soleil, juste la lumière du jour, et ce qui se passe autour ?
C'est en regardant, que vous verrez.
On ne peut transcender que la réalité, je crois.
Si vous n'avez plus aucune perception du réel, comment apporter ces infimes étincelles de vie, luminescences des autres, auras, que sais-je encore, du moment que ça respire, que ça bat dans la poitrine, que ça vous regarde, aussi. Et vous vois. Aussi.


Donc, en cas de naufrage, soit vous savez nager, vous pouvez tenter d'attendre d'éventuels secours. Encore faut-il se repérer au beau milieu d'un océan, l'étoile du berger étant visible la nuit, ça se complique s'il est dix heures du matin. Je vous laisse le bénéfice du doute quant à la population marine sous vos pieds, la soif, la faim, le froid, la totale. Faut être honnête, un naufrage, c'est une putain de méchante galère à laquelle vous risquez fort de ne pas en réchapper. Autant dire que la seule chose qui va vous aider, c'est votre instinct de survie. Il sera complètement irraisonnable, vue la situation plus que précaire, et malgré ça, les deux tiers d'entre nous vont se cramponner à cet espoir.
N'est-ce pas étonnant ?


C'est que nous sommes programmés pour vivre.
Pas pour mourir.
Voilà, c'est dit.

Il se peut aussi que cet esquif en déroute, celui qui est pile en train de prendre l'eau, et pas qu'un peu, c'est vous qui vous cramponniez au gouvernail. C'est une sacrée responsabilité que de diriger une embarcation, qu'on soit seul ou à trois cents passagers. Il va falloir choisir, à un moment aussi crucial, et ne pas vous louper. Si vous décider d'accoster, coûte que coûte, sur cet îlot tout miteux, sur lequel deux palmiers et demi se battent en duel, que va-t-il se produire ? Allez-vous tenter un remake de l'île au trésor, sans le trésor ? Qui seront les rescapés d'après vous ? Le sort s'acharnera-t-il sur les plus faibles ou sur les plus forts ? Qui sera sauvé, en un mot comme en cent ? Autant de réponses que de possibilités, et à ce jeu là, le hasard n'est plus tout à fait à sa place. Souvenez-vous qu'il est inscrit dans nos gênes que la vie n'est que lutte sans fin, donc.

Imaginons que le bateau coule à quai.
Votre karma est bon.

Et si vous étiez en train de cauchemarder ?
Ah mais je sais que vous seriez sans doute en train de vous envoler, à la brasse, dans les airs, comme un poisson nuage. Il se peut que vous ayez du mal à décoller, tout va bien, ce ne serait que l'angoisse de ne pas réussir, et pourtant, les adultes finissent toujours par s'envoler. Les enfants, c'est toujours plus difficile. Leurs peurs sont bien plus grandes, plus fortes, donc, plus lourdes. D'où la difficulté de décollage récurrent. CQFD.

Et si vous décidiez de ne sauver que vous ?
Sans avoir à le mériter, juste parce que c'est la raison, et que l'ignorer, c'est se perdre.

Et si vous étiez déjà sauvé, sans le savoir vraiment.
Que de toute façon, vous ne prenez jamais le bateau.
Vous avez le mal de mer.
Alors là, on s'en fout qu'il coule, ce satané rafiot.

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