La trace

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Au matin, nous ne sommes pas meilleurs. Ni pires.
Une forme de régularité humaine. Presque métronomique. Tic.Tac. Les sombres connards se complaisent dans leurs limbes habituelles, ne dérogeant à aucun moment, pour ne traverser jamais vers les rives des optimistes. Le Styx est là, perpétuel. Les morts ne sont pas ceux à qui on pense, les privés de souffle. Ces derniers ont quitté les rivages depuis longtemps. Les enfers sont sur Terre, c'est plus que certain, il suffit de regarder autour de soi pour constater à quel point la bête est présente. Et les forces s'affrontent avec cette mesure identique. A chaque seconde. Tic. Tac. Les plus nauséabonds respirent avec cette suffisance propre aux gens biens, ceux qui suivent les règles, s'y conforment avec cette rigueur parfaite, méticulosité des absents. Il y a quelque chose de poignant à les regarder s'affairer autour de leur vie vide et moche. Toujours cette frontière fluctuante qui interfère. Il est interdit d'être. Tic. Tac. Parfois, un être à part. Qui refuse de quitter les flots. C'est la merde. Il est impensable de vivre au beau milieu du fleuve éternel bordel !
L'être s'en fout. Il dit qu'il est interdit d'interdire. Il danse sur les vagues, sa planche sous ses pieds, et son envie de vivre qui éclabousse tout le monde. Tous les mondes. Il rit aux éclats et c'est contagieux. Vite ! Une quarantaine ! Maîtrisez ce fou ! Tic. Tac. Tic Tic. Tic. Le métronome s'affole. Le dingue swingue entre deux eaux, hilare, heureux. Les flots détestent ça, menacent de se rompre en représailles. La foule gronde. Les cons et les bons. Toc. Toc. C'est le marasme le plus complet. Et ça gueule, et ça râle, et tout ça déborde soudain d'anarchie contenue, ça déferle de partout, le trop plein monte haut vers le ciel, le Styx est furibard, il se casse, c'est entendu. Au bout de quelques heures d'un combat acharné entre tous, éléments et être confondus, c'est un beau bazar. La rivière a laissé une trace nette sur l'asphalte. In memoriam.

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Dédicace à mon fils Théodore.

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