Ces murs là


Afficher l’image source

























...

Elle fait l'angle d'une ruelle sombre, aussi courte qu'étroite, appendice bizarre comme un îlot perdu ; Il s'excentre d'un interminable boulevard aux accents archaïques, vieilles masures délabrées, maisons de village moches et décrépites, vitrines d'un quart de siècle où tout était possible, les vieux squatteurs du bancs travaillaient, en ce temps.
La bâtisse représente une énorme bloc compact, divisée en deux parties bien distinctes ; l'une possède fenêtres, verroteries, volets de bois craquelés par le vent, les années difficiles, les locataires aussi furibonds que les éléments déchaînés, la peinture n'est même plus écaillée, à peine un vague souvenir, une cloque grisâtre ici et là ; l'autre est totalement fermée, chaque ouverture soigneusement colmatée, murs remplaçant les amovibles habituels, vouant à l'invisibilité tout ce qui pourrait s'y trouver, à l'intérieur, exilant, par la même, toute vision sur le monde.
De quel monde, nul ne le sait plus, tout a disparu depuis si longtemps, la trace d'une horloge tout en haut, près de la charpente marque la fuite de ces heures passées, sans doute pas un arrêt sur quoi que ce soit, qui peut savoir sur ce qui n'est plus, n'a presque plus l'ombre d'un seul souvenir, ce genre de réminiscence là, juste ces murs lépreux, en témoignage d'un avant oublié, pauvre navire déchu, même pas pris la peine de l'avoir coulé, a été échoué, simple coquille vide d'espoir.
Les gouttières suintent péniblement, crachotent parfois de maigres salissures, poussières de ciel, d'arbres morts, d'insectes momifiés dans les feuilles brisées, fines soies de toiles arachnéennes, petites brisures de coquilles, quelques grains de sabre pourpre, sang des terres un jour conquises, fientes sèches et autres agglomérats. 
Une chouette, si vieille que ses plumes sont rascleuses comme un vieux peigne édenté a élu domicile temporaire, mais parfois, les avis de passage se transforment en villégiature définitive, un peu comme les cimetières, les allées d'allongés, repos éternel, mon oeil, un corps mort n'en finit plus de se mouvoir, une fois ce putain de dernier souffle exhalé, c'est la machine interne qui se met en branle, tout part en cacahuètes, ça fond de partout, ça file petit à petit en direction du Styx, sans se presser, parce que le bon côté de la mort, c'est bien qu'on a enfin tout son temps pour partir en décrépitude, alors autant en profiter.
Tu peux tourner autour de la baraque, y'a pas de portes, nulle part. Ni de fenêtres. Ni d'écoutilles. Pour entrer, soit on se transforme en passe muraille, soit on envoie des coups de pioche.
Nous étions partis, à priori, sur la seconde option, faut pas rêver, pas de super pouvoirs dans nos poches. Dommage. On aurait gagner un temps fou. Sauf que.
Les choix s'étaient largement limités, ces derniers mois, en matière de refuge, notamment. L'autodestruction massive des belliqueux avait creusé de sacrées trouées dans la population, abandonnant partout les ruines encore fumantes de leur colère ; c'était pas beau à voir, les braises noires puaient à des kilomètres, déposant comme un linceul charbonneux sur les trottoirs, bien loin de toute pureté, une chape dégueulasse de tréfonds de l'enfer.
L'ouverture du Mausolée fut rapide, l'affaire d'une heure ou deux à casser les briquettes d'outre tombe, un tas argileux et blanchâtre s'amoncela, laissant bientôt place à une percée fumeuse.
Un chuintement discret signifia le descellement, comme lorsqu'on fait sauter une capsule de bouteille, étancher une soif, peu importe laquelle, reste légitime à l'instant.
Une fois le vin tiré, il semble qu'il faille le boire, alors soit, nous avons joué à pile ou face, afin de déterminer qui s'aventurerait en premier, un peu la vie ou la mort, des bonbons ou un sort, et je crois bien que j'ai un peu triché, mais qu'importe à présent, premier arrivé, premier sorti, si nous sortons un jour, ce qui reste indéterminé pour l'heure, surtout après la découverte. 
Une main passée dans le trou, puis un bras tout entier, une jambe, puis un tronc, et le tout, et la suite, évidemment, la suite, l'escorte lamentable, quelle belle équipe nous étions alors, armés de pioches et de lampes solaires, celles qui fonctionnent sans soleil, juste de savoir qu'il en existe un, on actionne le poussoir, pendant des plombes, et la loupiote vacille comme une flamme de bougie souffreteuse, à la différence que l'on ne craint pas les courants d'air, par contre, les crampes, oui. Ah oui, vraiment, quelle jolie bande d'empotés en train de tâtonner au rez de chaussée, se cognant à chaque mur, s'embronchant les pieds dans chaque morceau de moquette arrachée, et la mécanique risible de nos torches tempêtes pour les jours sans, les cliquetis rapides pour la semi obscurité famélique qui nous faisait frissonner par anticipation. Des mômes.
Nous avons trouvé l'escalier central, il nous a semblé qu'il y avait de la lumière à l'étage, nous sommes donc tout naturellement monté, avec précaution, les marches en carreaux de faïence crissant sous notre ascension, un crissement d'assiettes cassées contre une pile en pierre de Cassis, un bout cassé, c'est foutu, y'a plus qu'à la jeter, ou bien, le chat y croquera ses croquettes, sur la terrasse, les soirs d'étuve estivale.
L'étage était assez haut, pour une construction aussi récente, et nous avons compris immédiatement que nous nous étions fourvoyé. Le bout de miroir brisé était posé là, au beau milieu de la pièce, les oiseaux, les rongeurs ou autres habitants invisibles de la plupart des maisons vides, avaient creusé un peu partout de minuscules tunnels, perforant les obstructions humaines, et c'était si joli, toutes ces loupiotes tremblantes mouchetant les murs moisis de solitude et d'abandon, pluie d'étoiles inattendue éclaboussant les vestiges oubliés.
Nous nous sommes assis à même le sol, nous voulions juste regarder un peu les étoiles filantes intérieures.
Et nous voilà.
Nous sommes là depuis.
Ne nous demandez pas ce que nous attendons.
Nous n'attendons pas.
Nous sommes juste là.
Nous sommes.
Nous.

....

(Essai sans façon, échange avec E.C.)

Résultat de recherche d'images pour "MURS ANCIENS"

Commentaires