Lettre de représailles, ou les amours délaissés ont du répondant

 
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Car en effet, il n'y a pas que des amoureux transis qui vont se laisser mourir de faim en signe de contestation, ou s'ensevelir sous une boulimie ostentatoire, pour compenser. Les drogues sont assez bien vues en matière d'oubli, et l'alcool comprend son petit lot d'adeptes, il n'y a qu'à voir le nombre impressionnant de bars au kilomètre carré, y compris dans les villages au bout du monde. Ne vous y trompez pas, l'alcool n'est certainement pas un lien social nécessaire pour palier à l'isolement récurrent de notre espèce : il ne sert en réalité qu'à oublier notre misère affective. Elle doit être terrible pour obtenir autant d'antichambres de la douleur...
 
Précédemment, nous nous étions projetés dans la peau des expéditeurs de lettre de rupture, et très honnêtement, ce rôle là reste plutôt réjouissant.
Pour autant, les "victimes ", elles, doivent beaucoup moins rigoler lorsqu'elles reçoivent le fameux courrier, nous le savons bien. C'est sans doute un mal nécessaire que d'affronter le vide. En tout cas, il me semble que c'est nettement plus constructif que d'attendre, terré sous la couette, que la vie merveilleuse que vous aviez construite avec la personne qui vient de vous larguer comme une vieille paire de chaussettes. C'est ce que j'en dis, mais je ne suis pas dans vos chaussettes non plus...
 
Du coup, je me suis demandée ce que je ferai, moi, si je recevais une telle lettre. Non pas que je ne fus jamais abandonnée, mais je pense que la réaction face au désastre dépend vraiment de ce que nous sommes. Si vous êtes combattif par essence, ou à force d'en prendre des calbotes, et bien il y a fort à parier que ce sera œil pour œil, dent pour dent, et que la lettre ne restera pas sans réponse.
Il se pourrait même que vous ayez assez de ressources pour trouver un moyen d'atteindre l'autre, histoire de lui rappeler qui est le patron. Forcément, ici, c'est vous le boss de fin, alors faudrait voir à pas vous voler la vedette en envoyant des phrases toutes pourries.
 
Déjà, il y a plutôt intérêt à ce qu'elle soit bien construite, sa lettre. Parce que des fautes à tous les mots mériteront direct le surligneur fluorescent vengeur, et/ou le feutre rouge du professeur tatillon.
Corriger les fautes d'orthographe de quelqu'un, c'est prendre le pouvoir sur ce qu'il dit. C'est tout bête. Et ça marche.
 
Secundo, les annotations en marge de la missive/missile.
Les petites remarques acerbes du style " mais oui, ta mère en short devant prisu ", alors que l'autre vous reproche vos dernières vacances en commun à Malaga, sont extrêmement déstabilisantes. Déjà, la vision de sa mère en short, c'est pas rien.
La belle mère y est certainement pour quelque chose, dans cette rupture. Et si ça n'est pas le cas, vous pouvez toujours utiliser cette dernière en guide préventif spirituel, ce qui donnera plutôt, dans la marge " quand je pense que ta mère croyait en toi... ".
Sentez-vous la différence ?
Oh oui...
 
Et comme je vise l'extravagance sur cette démonstration, je propose une copie du tout, soit en affichage sur les murs de sa station de métro préférée, vitres d'abribus, ou simplement sa bagnole.
Quel moment fantastique lorsque vous allez l'imaginer en train de mater votre papier peint version " ma main dans ta gueule... " !
Le délaissé change de camp.
Un partout. Balle au centre.
 
Par contre, pour les personnes qui vont se cacher dans leur grotte, là aussi, la solution reste la lettre de rupture. Il va falloir la lire et la relire pour assimiler que c'est fini. Cette fin-là doit être comprise, peut être pleurée, et c'est dans ce genre de moments que les amis risquent de " disparaître ", comme piqués par la Fuyonnite aigue, celle qui fait des gens malheureux, des parias pour un temps, celui nécessaire pour remonter la pente ; elle est souvent bien raide, parfois, aussi haute que l'Everest.
C'est dans cette solitude que nous apprenons à apprivoiser l'angoisse principale de l'humanité. Etre seul.
Et pourtant, ne le sommes-nous pas à chaque instant ?
Apprendre à aimer se retrouver en vis-à-vis, c'est nécessaire.
C'est par là que commence notre acceptation de nous-même.
Sans sombrer dans le narcissisme, notre intériorisation, notre regard, notre ressenti, sont autant de signes d'amour.
Aimez.

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