L'aventure au bout de la rue



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C'est une affaire de perspective. Et d'état d'esprit. Il y a les jours où dès le pied posé au sol, tu vas considérer que ce sera une bonne, ou mauvaise journée. Ceux où tu sentiras les frémissements d'une rencontre possible. Et ceux dans lesquels tu auras l'impression que tout est possible, à partir de maintenant.

Facile à dire alors que tu es confortablement installé dans ton canapé, les jambes callées sur un pouf en velours de belle facture, les doigts de pied en éventail.

On pourrait dire qu'il s'agit d'aventure par anticipation. Voilà. 

C'est bien trouvé, et d'ailleurs, tu viens d'entendre, calfeutré par les doubles vitrages, un semblant de meuglement inattendu. La berlue ou pas, tu hésites à quitter ton installation cosy mais l'appel réitère, plus fort, plus près. Suffisamment pour t'extirper du cocon douillet. Tu files vers la fenêtre, jettes un oeil intrigué, mais pas trop, rien. Changement de fenêtre, dès fois que l'angle de vue y soit pour quelque chose, pas mieux. Et voici que ça meugle plus fort, juste en dessous. Tu finis par ouvrir, et glisse un début de tête, puis épaule, haut de buste, bras, pour passer tout entier, au final, sur ton balcon miniature. Juste assez vite pour apercevoir à l'angle, un peu plus haut, l'arrière d'une calèche qui s'esquive vers la droite. 

Perplexité, je te l'accorde. Evidemment, tu serais allé voir plus vite de quoi il en retournait, tu aurais su. C'est agaçant. Tourne vire, petit navire. Tu empoches tes clés, et tu descends tes escaliers. Ca va pas très vite, une calèche. Et tractée par un bovidé, encore moins, en logique. Arrivée à l'angle plus haut, juste le temps d'entendre à nouveau l'indication sonore qui s'engouffre à nouveau dans une rue contigu. Accélération du pas, le coeur un peu plus rapide aussi. Rappel que tu as une machine à étendre. Aller récupérer une bricole chez ta voisine. 

Tu réfléchis. Te demande à quand remonte la dernière fois que tu as vu une vache, en vrai. Pas dans ton assiette. Très longtemps. Vraiment des lustres. C'était en Bretagne. Tu faisais du vélo sur une route de campagne, et dans ce champ, il y avait un troupeau entier. Tu avais longé le champ, immense. Elles t'avaient regardé passé, comme elles auraient regardé passer un train, l'envergure et le bruit en moins. Tu avais fini dans le fossé, à ne pas regarder la route. Leur attention avait été attirée par la chute molle dans les herbes hautes, et ton retour sur le bitume s'était effectué sous haute surveillance rousse et blanche, museaux humides tranquilles, mâchouillant encore et encore, avec la constance qu'on ne trouve qu'en des lieux reculés, à l'abri du progrès. Tu avais hésité à tendre la main à travers les barbelés électrifiés, avais considéré que le risque était grand. Tu étais remonté sur ta bicyclette, en zigzagant sur cinq cents mètres. 

Le cul de la cariole urbaine te nargue une nouvelle fois, en bifurquant sous ton nez, presque. Repetita du meuglement intrigant. Accélération vive, il te faut en avoir le coeur net. Et soudain, tu y es.

C'est un putain de vélo.

Avec un putain de klaxon de merde.

Rire intérieur. Tu photographies en clignant ton oeil gauche la charrette, et son équipage. Tu rentres. Tu rigoles tout seul. Si seulement c'eut été une vache. 

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