Fiche cuisine interne ou comment consommer des candida(t)s


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Rions un peu de tout, et de rien, le tout n'amenant pas que du rien, puisque le rien, c'est déjà un peu de tout. Et rien.
Les élucubrations, ce sont bien des pratiques dans lesquelles je m'abandonne souvent, et pour ne pas fauter trop loin, il m'apparaît opportun d'inscrire dans cet atelier de curiosités, une petite fiche culinaire.
Alors que l'on me racontait un entretien professionnel des plus ennuyeux, il m'est venu, comme un soupir d'aise au souvenir de certains menés un jour, dans la confidentialité la plus secrète, à la recherche du candida(t) modèle, celui ou celle qui saurait à la fois, mener mes combats, les siens, les leurs. On ne peut ici évoquer de perle rare, puisqu'elle a moins le mérite d'exister, elle.
Dont acte.
Le premier avait enveloppé ses maigres côtes d'un mantelet orangé flamboyant du plus bel effet, c'est certain, dans les virages d'une piste noire crayonnant une poudreuse immaculée de zébras chaotiques comme semblaient l'indiquer la démarche légèrement détemporisée, comme si le métronome avait une patte torse, accrochant les demis, rompant le rythme nécessaire à l'harmonie d'une ballade blanche au cœur des sapins d'une forêt autrichienne. Il y aurait quelques traces suspectes de loup, mais pas affamé, comme en témoigneraient les buissons chiffonnés d'un carmin carnassier. La jeune tige n'osait lever sa capuche, et timidement, proposait un service si exceptionnel qu'il en devenait irréel, tant la promesse d'un festin semblait improbable à la vision d'un met si peu enclin à exhaler ses saveurs. Souvenez-vous que l'odorat est intimement lié au goût. Que penser d'un champignon qui ne sent rien du tout, ni la terre, ni l'humus, ni les feuilles détrempées, ni la rosée croupie, ni la fange naturelle en un mot ?
 
La seconde cueillette parut plus prometteuse, avec ses accents latinos, les vibrations caribéennes firent un capharnaüm gigantesque, bien plus qu'une fanfare de cuivres étincelants, il y avait à la fois les majorettes, leurs bâtons enchantés, les bottes luisantes montées jusqu'aux genoux, la jupette bicolore, et le sourire aux incisives pointues d'un tigre de convenance, celui qu'on trouve au zoo de la plupart des grandes villes, lassé d'être vilipendé sans raison, sur le simple fait d'être un tigre, ses rayures ternies des saisons sans raison sur un territoire urbain parfaitement inconnu, sur lequel il naquit, dont les effluves lui sont connues, et sans autre intérêt que la connaissance, alors qu'il sait, au fond de son cœur de tigre, que sa vérité est autre, ailleurs, que ses crocs se foutent d'être brossés, qu'il lui suffirait de la proie pour se souvenir de ce qu'il est, juste une fois, une seule.
Le Craterellus cornucopioides se présente avec l'absolue certitude que le public est là, que les applaudissements se sont tus pour ne pas rompre sa prestation, ô combien convaincante. Ah ça, il fera danser son monde, dans des rondes endiablées aux accents de folie douce, oui, il le fera, on le voit tout de suite à sa façon de se dandiner déjà, prémices capoéresques et la suite est raccord au prélude, oui, il les fera chanter, parce qu'il manque ici, dans ce lieu consacré (mon bureau, en l'occurrence), une sorte de Wifi biologique naturelle ; je ne le détrompe pas j'ai tout débranché pour ne pas parasiter son imagier intérieur, c'est que ma musique à moi, elle n'est pas conçue pour les débutants...
Je débouche intérieurement la bouteille de récupération de larmes de crocodile à venir, parce que je peux déjà les entendre rouler sur les grosses joues imberbes de ma Craterelle, ça va chialer dans la cahute au refus, aussi, je prends la tangente, j'acquiesce avec bonhommie, et la Trompette s'ouvre d'aise, sa collerette large telle une ombrelle charbonneuse. Je déplore son départ, mon gratin dauphinois aurait gagner très largement en saveur. Mais à quel prix ?
 
Il me tombe comme une plaie sur l'Egypte, le Marasme des Oréades, un faux-mousseron comestible certes, mais dont la fadeur n'est pas un euphémisme. Il a vu de la lumière, imaginez-vous, et ma foi, il est entré, comme on visite une cathédrale, en visiteur un peu inquiet, sans trop faire de bruit, sa casquette à la main, des fois que le Tout Puissant lui fasse passer un mauvais quart d'heure. C'est le champi(gn)on le plus inattendu et pour cause, il n'a aucune qualification pour aller se faire cuire, ici ou ailleurs. Je suggère des épices, et le Marasmius est d'accord pour tout, y compris l'étouffée, baignant dans son propre jus, ça sent pas bon, je vous l'accorde, un peu les chaussettes du sportif qui ne l'est pas, avec un soupçon d'ammoniaque, mais je ne sais pas si ce n'est pas lié à son temps de péremption légèrement dépassée ; c'est qu'ils me font marrer, les gus en rajoutant des jours aux délais pressentis ; avec leurs foutaises, une brouillade pourrait vite se transformer en omelette de belle doche, si vous voyez ce que je veux dire. Non merci, plus de marasmes pour nous, ça ira bien, non, non, nous ne vous rappellerons pas non plus, ça ne va pas être possible.
 
Enfin, se pointe un magnifique cèpe, tout en bruns, un camaïeu d'ocres terreuses, un peu de soleil ici, un chouïa de crème fouettée, son immense sombrero velouté comme un velours épais, c'est une merveille. Il se raconte, et déjà émane de lui ses vies parties, ses ombrages, ses cueillettes échappées, ses jeux de cache-cache avec les promeneurs, les paniers vides, et ses velours rutilants en réponse aux quatre vents, cavaliers apocalyptiques, fièrement monté sur son pied robuste, alvéoles riches, croulant d'arômes, de petites faunes insectes microscopiques, presque un hameau de vies protégées sous son ombre majestueuse.
Il faut parfois sacrifier la communauté pour conserver la liberté d'une seule et belle personne. Sa noblesse sauvera sa peau savoureuse.
 
La cuisine est un art dont je m'abstiendrai dorénavant.
Difficile d'estimer à quelle sauce déguster certaines denrées...


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