Au commencement du jour


...
Il y a cet entre-deux, un ciel bleu indigo qui pourchasse la nuit, balayant tous vos rêves, juste avant le réveil ; il s'étale, sans un mot, s'insinue sous les portes, allume les volets, glisse en arabesques rapides pour toucher de sa grâce tout ce qui dort encore, d'un éclat de lumière.
Le cobalt s'éclaircit, violine presqu'à présent, se barbouille de gris. Ce matin, l'ardoise ne lâche rien, ni prise, ni ciel, ni les toits pour l'instant, et le temps suspendu à l'horloge météorologique, crayonne encore au loin, au large du port, nargue les oiseaux qui piétinent sur le quai. Les bateaux dansent sur la pointe de leur quille, les moteurs rouspètent à l'arrêt, et la pêche est sortie, dans ses caisses vivantes ; ça saute, ça tente le tout pour le tout, parfois une évasion, un loup plus vif que mort qui s'échappe pour agoniser dans la rade, c'est toujours mieux que dans un four, il ne regrette rien, les loups ne sont pas fait pour être mangés. Puis au final, on dirait bien que si, le chaperon est en jaune, ça trompe l'ennemi, la victime change, c'est le retour de bâton.
Le mauve s'étire vers le ciel, toujours cette chape grisée, tout le monde attend qu'il arrive et c'est long à n'en plus finir, encore onze minutes, que faire de tout ce temps à part guetter sans fin, sans espoir aussi, l'heure c'est l'heure, personne n'y coupe, et celui qu'on attend est d'une précision d'horloger suisse, vous imaginez un peu.
C'est étrange, cette nuit qui se bat pour rester à kidnapper les bruits et c'est à l'étouffée, comme sous une cloche insonorisée que l'on attend, encore neuf minutes, que faire, un sonnet, ah oui, ce serait bien un sonnet.
Mais ce silence assourdissant bloque mes sens, seuls mes doigts s'agitent encore, impulsions nerveuses de la fin, petits sursauts agacés, et ce ciel s'éclaircit encore un peu, c'est un gris teinté de bleusaille, pas très gai tout ça, même la façade de l'immeuble rose plus loin, paraît moche, un beige vaguement sale, dans sa gaine de clair obscur de début de  jour, c'est vraiment très laid, rien à voir avec le tomber du jour qui rend à la terre toutes ses lumières accumulées, explosion de facettes multicolores sur les granits, les blancs s'irisent, le moche s'adoucit, et c'est merveilleux que de voir la nuit s'étendre sur la ville, elle y gagne en beauté, partout.
Voilà, nous y sommes, le gris s'est retiré, combat inégal avec celui qui point au loin, ça s'évapore, crème du jour, lumière d'ailleurs pour ici, décalage des continents, tout va recommencer, le bain de jouvence quotidien, celui qui efface les miasmes de la nuit, les regrets, les souvenirs, les jours d'avant, ceux d'il y a longtemps, je l'attends comme nous tous, une minute avant le début, un compte à rebours pour atteindre le répit, on gomme tout, on reprend à zéro, l'aiguille trottine dans sa boite ronde, petit étui de contenance pour conserver ce qui ne le peut, qui file à son rythme, ne peut qu'être observer sans jamais le saisir, ce foutu temps.
Il est levé. Le jour.

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