Heureux ?


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C'est l'habitude qui force le bonheur à rester, me souffle-t-on, deuxième rangée à droite. Balancé comme ça, à la volée, la phrase n'a aucun sens, comme si nous avions la maîtrise sur le bonheur ; ce serait comme de décider que dorénavant, tous les matins, à 9 h pétantes, un capuccino dosé à la perfection, apparaîtrait comme par enchantement juste là, devant mon pupitre, un souhait non exprimé réalisé juste par la force de ma conviction qu'il doit être là, à cet instant précis. Tous les matins, je le rappelle.
Alors qu'un café crème, à la base, ce n'est pas un tour magistral de magie, Hermione fait sans doute bien mieux ; mais d'imaginer qu'à force de décider d'être heureux, il ne peut en être autrement, ça, c'est fort, c'est grand, c'est puissant.
Du coup, j'y ai repensé un peu, et tout compte fait, il faut reconnaître que la suggestion n'est pas aussi simpliste qu'elle n'en n'a l'air. Quel risque aurions-nous de considérer l'angle de la bonne vibration, cette " Good Vibe " qui nous rappelle les vacances, la détente, la liberté d'être sans contraintes et de se l'approprier ?
Décider d'être heureux, c'est le registre de la pensée positive, les thérapeutes travaillent sur ce thème depuis longtemps ; je suis une grande fan des concepts de ces gens à vocation altruiste.
Quelques unes, pour le plaisir.
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Tu es ce que tu manges. Merveilleux. J'ai, dans mon entourage, pas mal de poulets dodus, deux ou trois Munster qui puent, des bottes de carotte,  une seule tarte Tatin mais au moins une dizaine de plateaux de charcuterie, un pied de cochon grillé, du bœuf fermier, de l'agneau de présalé, des litres et des litres de pinard, c'est qu'une ménagerie pareille, ça s'arrose ; en cas de pénurie, n'oubliez jamais vos amis pourront subvenir à vos besoins...
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Le bonheur est dans le pré. Ah non, pardonnez moi, ça, c'est une émission pour marier les agriculteurs qui sont, sans doute, également ce qu'ils mangent, bio, donc. Sûr que le mec qui a une tête d'olive, ça peut bloquer un peu.
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Ah oui. Une porte s'ouvre... Formidable ! Et si derrière t'as toujours un mur, prends ton pieds de biche, pour passer quand même. Après, peut être que Don Quichotte avait mal compris l'affaire des moulins à vent, c'est un peu comme enfoncer des portes ouvertes, je ne vois pas trop l'intérêt de se jeter comme un malade à travers l'embrasure d'une porte inexistante, sauf pour se prouver qu'on est tellement trop fort que la porte préfère céder la première. C'est quand même un peu inquiétant si on a confiance à ce point en notre pouvoir d'intimidation sur le mobilier, que penser des dérives possibles sur l'espèce humaine...
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Un ange passe. Le silence de l'invisible, c'est balaise. Sinon, y'en a qui ont des amis imaginaires depuis tout petit, ils arrêtent d'en parler vers l'adolescence pour éviter de passer pour des schizophrènes et ils n'ont pas tort, inutile de se faire remarquer lorsqu'on peut très bien attendre l'intimité de son chez soi pour faire la fête avec les copains qui habitent un peu là haut, du côté du cortex, donc...

Ah je sais, je suis affreusement désagréable, je gâche ces petites phrases anodines pour les remettre en phase du réel. Mais ce réel est-il au point avec notre bonheur ? Je crains qu'il ne soit, très souvent, en décalage total, alors pour l'habituer, on s'y cramponne comme à un cocotier un soir de tempête tropicale, et on attend que ça passe ; l'hiver ramène toujours un printemps pour tous, il suffit d'un peu de patience.
Voyons à nouveau la phrase.

" C'est l'habitude qui force le bonheur à rester ".

Elle n'est pas si mal, cette petite suggestion. Elle mérite qu'on s'y attarde, qu'on lui donne une chance, même toute petite. Après, qu'est ce qu'on risque, au pire ? D'être heureux.

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