Il paraît que l'herbe est plus verte, ailleurs

 
 
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A la base, le fait d'énoncer une lapalissade, c'est particulièrement nul. On se doute que dans tous les prés, l'herbe est verte, plus ou moins, et je rappelle que la verdeur, ce n'est pas la panacée en matière de promesse.
Ne dit-on pas " vert de rage " ?
Le vert porte malheur aux artistes, semble-t-il.
Et que penser du ver(re) à moitié vide ?
 
J'ai donc réfléchi à cette possibilité, et me suis transportée, physiquement s'entend, sur différents sites au fort potentiel de verdure. Autant préciser que je ne suis pas la meilleure testeuse au monde en matière d'herbe grasse, l'une des dernières fois où l'on m'a proposé de m'assoir dessus, je n'ai pu m'empêcher de demander s'il était vraiment nécessaire que je me roule sur ce, ce truc, quoi. Je vous laisse imaginer la stupéfaction de l'autre, déjà presque roupillant sur un tapis maigre et sec, en plein mois d'Août, sous un arbrisseau encore plus chétif qu'un rosier au bout du rouleau. J'avais fini par céder, maugréant intérieurement de saboter sans doute ma robe, et de me griffer les mollets dans la paillasse vaguement herbeuse ; je signale tout de suite que cette herbe là, loin d'être verte, était d'avantage couleur poussière, sel séché et brindilles grisâtres, avec en effet, quelques rares gazons survivants, on ne sait par quel miracle.
 
La fois d'avant, j'avais été attaqué par un tique, ce qui avait eu pour résultat en tout premier lieu, un trépignement hystérique sur place, puis un début de déshabillage pour vérifier que la bestiole n'avait pas trouvé refuge à l'intérieur, ce qui provoqua pour finir ma fuite, ni plus ni moins. Lorsque la nature est hostile, inutile d'insister. Un banc, fraîchement repeint d'un beau vert métallisé, m'avait servi de refuge pour le reste de ma pause déjeuner. Bien entendu, j'avais réussi à saboter la sieste bienheureuse de l'ami qui m'accompagnait. Tant qu'à faire, autant le faire bien.
 
Me voici revenue sur mes pas.
Histoire de vérifier.
Tout est là, enfin presque.
 
Le jardin des tortues. L'un des endroits les plus verts que je connaisse en mars, c'est le début d'un Printemps qui se veut frileux, ne dévoilant que bien peu de chaleur, bien peu de lumière aussi. Les tortues ne sont pas visibles, ou bien elles sont cachées, mais je parierai pour une hibernation rallongée comme les jours qui jouent à nous faire languir, les cache-cache de nuages, les ombres aussi grandes qu'un gouffre naturel, un de ceux qui ne laisseraient aucune chance, ni aux tortues, ni aux poules, ni à moi.
J'inspecte les abords du bassin, il est visqueux, l'eau plus trouble que le mien, celui de souvenirs récents, et tout ce vert me pique un peu les yeux, c'en est trop.
La bâtisse blanche est toujours là. Les deux ailes, dépendances affectives contrariées, le cœur et ses larges fenêtres, j'y serai heureuse si je le voulais bien, mais non, je retourne sur ce vert, et je le trouve bien trop court, bien trop ras, trop bien taillé, trop propre pour mon ébullition naturelle.
 
Le parc Borelly. Le front de mer, et son air iodé, les pelouses interdites, avec des panneaux de rappel tous les dix mètres, il manque des miradors pour tirer à vue sur les contrevenants, alors je le fais quand même. Parce que soudain, j'ai dix ans, que je me fous des ordres, que leurs képis sont ridicules, et leurs bedaines inadéquates avec une course poursuite. Je marche, déterminée vers les bassins, et les mouettes sont les premières étonnées. Elles m'ignorent avec superbe, je ne suis pas de leur monde, aucun intérêt, ni comestible, ni terroriste.
Les tourterelles restent dans leur fief, les arbres, dont tout pousse ici et là, les troncs, les feuilles, les fruits, l'amour.
Je fais glisser mes boots, j'enlève mes chaussettes, et je campe.
J'attends.
Qu'ils y viennent pour me dégager.
J'ai conquis l'herbe interdite.
J'ai planté mes doigts de pieds dedans.
C'est à moi.
Mais à y regarder de plus près, ce vert là, ne me convainc pas. Il n'est pas d'un vert idéal, de celui que j'aime, dont je porterai l'éclat. C'est un vert basique, herbe bien dressée, coupée dans les règles de l'art horticole, avec une petite tondeuse rigolote comme un jouet d'enfant. J'en ferai bien un tour ou deux. Mais je n'essaie même pas.  Même le sens de l'humour se meurt dans tout ce vert.
 
Le jardin de la loose. Celui-là, je l'ai gardé en dernier. Parce que finalement, cette vérification des verdures de proximité, je me rends bien compte que c'est une prise de tension pour moi. Je vérifie dans la foulée où j'en suis avec mes souvenirs. Est-ce que je suis en souffrance, à revenir poser mes pas sur d'autres ? Et bien ça démange un peu le cœur, mais ça va. Comme si la douleur, finalement, faisait partie du jeu, de l'enjeu. Lorsqu'on aime, d'une façon ou d'une autre, la tristesse, la déception, ne s'excluent pas comme par enchantement. Sinon, ce ne serait pas de l'amour.
Une amie vous manque, un amour, un amant, quelle importance comparé à tout ce que vous avez pu vivre ensemble.
 
L'herbe n'est pas plus verte ailleurs.
Elle est différente.
C'est bien comme ça.

Commentaires

  1. j'adore merci pour cette légèreté j'aime l'écriture la fluidité bref j'aime

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    1. C'est un tel plaisir que de partager avec vous. Merci Mme Mona

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