J'ai dit non aux écouteurs dans les transports en commun


...
J'ai jeté mes écouteurs.
La tentation reste mais je résiste, pour mon bien être social.
Je m'explique.
La déification guette le téléphone portable, la preuve en est qu'il se trouve dans toutes les poches, même les plus petites, pour les sans (poches), on a réinventé le cordon autour du cou, vous savez, celui dont on dote les petits vieux qui perdent toujours leurs clés, ce cordon qui pendouille comme une cloche à une vache normande, un peu plus bas que le plexus, ça fait glin-glin aussi, pour autant, je ne suis pas certaine que l'on retrouve le pépé du 2ème en plein brouillard, lorsqu'il a sorti ses poubelles au lieu d'attendre son aide à domicile.
Sans téléphone, aujourd'hui, nous sommes perdus. Même les numéros de nos proches, nous les avons oublié, confiant notre mémoire à l'appareil.
Sans bagnole, on survit tout de même.
Sans téléphone, c'est une autre affaire.

J'ai eu un éclair de lucidité.
Un matin, j'ai compris à quel point il était facile d'effacer les autres de son périmètre auditif, il suffisait de placer les oreillettes, et le monde disparaissait, ce qui est parfois bien pratique, je vous l'accorde ; next les gamins braillards, finis les hurlements hystériques des ados avant (ou après) les cours, les râleurs, les comiques pourris, les casse-pieds ; mais dans le lot, il y a une moitié que l'on squizze avant même de lui avoir donner une chance, celle d'expérimenter un silence de connivence, avec ce regard entendu par exemple. Le lien social est déjà si ténu qu'il ne tient qu'à ces deux oreillettes de le sectionner, finalement. Bien sur, je pousse le trait un peu gros ; c'est qu'il y a certaines évidences invisibles, l'habitude de faire, le quotidien qui nous rattrape, nous étreint, nous rassure, nous étouffe aussi, et gomme bien vite ces esquisses de possibilités humaines.
Et le résultat fût :
Lundi, la nuisance sonore est insupportable, je suis à deux doigts d'occire la gamine et sa mère qui jargonnent à qui mieux mieux, juste dans mon dos, je sens la migraine me saisir à la nuque et aux yeux ; oublieuse, je farfouille machinalement dans mon sac et je me souviens, je m'auto-flagelle intérieurement, je subis donc mais pas sans combat, du coup, je me cale des lunettes de soleil aussi larges que des yeux de Pokemon, je change de place pour me trouver face aux mégères, l'une n'a que 6 ans, et son potentiel n'a rien a envier à sa matrone de mère, les deux sont enfluocés, je me dis que déjà, c'est plus qu'un signe, tout ce fluorescent à 8 heures du matin, et je me réconforte en me rappelant que ce voisinage ne sera que de courte durée. Je les foudroie derrière mes verres opaques, et j'ai l'impression qu'elles rapetissent à vue d'œil. Effet d'optique.
Mardi, je choisis, autant que ce peut, la place pour éviter ma déconvenue d'hier, et je vois une petite dame engoncée dans son manteau trois fois trop grand qui se cramponne à son sac à main, je la salue en m'asseyant à côté, et soutient vaillamment son regard méfiant, voire inquisiteur ; je scanne un peu le bus, et comme les usagers sont moins nombreux, le calme est au rendez vous ; même le petit gars au fond, qui écoute son zouc sans écouteurs, ne m'insupporte pas, c'est dire, je suis de très bonne humeur, le trajet est merveilleusement souple, ma voisine finit par descendre en m'écrasant les pieds, sans s'excuser, mais comment pourrai-je en vouloir à une personne perdue dans son pardessus, sérieusement ?
Mercredi, l'horreur. Plus jamais je ne prendrai de bus un mercredi, c'est du suicide, j'ai l'impression d'avoir été enfermée dans un aquarium rempli de piranhas fous, de mouettes schizophrènes, de cafards grouillants, je tiens par miracle sur un pied, le second s'est coincé contre mon tibia, la faute à la valise géante d'un koala de seconde zone, une espèce de grand escogriffe hilare, ventousé contre la vitre, son bagage abandonné au gré des freinages surprise, du coup, il sert d'ancrage aux usagers sans prise, sauvant de la glissade urbaine bon nombre d'entre nous. C'est un peu notre lest de secours, quoi. Et en effet, ça rigole un peu, mais pas trop, le passage dans le bocal réfrène la communication.
Jeudi, c'est la fête. Un premier jeune septuagénaire m'invite à danser, il se rend justement à un cours, et malgré mon refus amusé, se plaît à me raconter que, vous voyez la tigresse blonde avec sa veste en yack, oui, je vois et compatis, et bien c'est une danseuse du tonnerre, elle fréquente son thé dansant, son seul défaut répertorié, c'est qu'elle ne danse qu'avec les jeunes, une cougar, précise dans un fou rire mon voisin bavard ; oh, la brune derrière, oui, celle avec une fleur dans les cheveux, c'est son ancienne copine, ils se sont quittés, elle n'aimait que la valse, lui, c'est plutôt les danses latines, bref, une vraie bazarette. Il finit par descendre, et je n'ai pas le temps de respirer, que le grand père sur ma gauche me propose des montres et des briquets, " en affaire ". C'est plus du " tombé du camion ", c'est du " chopé dans le bus ". Je jubile.
Deux jours sans, ce sont presque des grandes vacances.
J'apprécie.
Je marche.
Je vais loin. Et reviens de loin.
Je picore le bonheur de mes oreilles retrouvées, comme une poule sur son mur, picoti, picota, et puis s'en va.
Je vais. Vadrouille.
Satisfaction.

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