A vos marques, feu, partez !


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Il y a ceux qui descendent la poubelle, et sont aspirés par le container des Danaïdes, ou ceux qui partent chercher des clops, pain, fleurs, aspirine, et se perdent. Tout ce petit monde n'est pas censé revenir un jour, ou alors, dans fort, fort lointain, ce qui signifie qu'on ne les reverra pas de si tôt, quoi.

Que faire face au destin terrible qui les accable, les kidnappant au beau milieu d'une histoire d'amour fusionnel, tiens, la votre peut être, à quelques semaines d'un engagement de genre définitif par exemple ?

Il y a deux solutions à cet égarement soudain.
1) Vous attendez. Mais autant vous dire que vous risquez d'attendre longtemps. A peu près aussi longtemps que le genre précité plus haut, une attente définitive. C'est une excellente alternative si vous vous sentez l'âme d'une Pénélope, et si, en plus, vous affectionnez plus que tout le tricot, on peut considérer que c'est votre seule option envisageable.
2) Vous finissez son déménagement. En avant, c'est le ménage de printemps, y compris en hiver. Soyez méthodique. Une pièce à la fois, avec un gros 110 L, noir ou opaque, inutile d'affoler les voisins, ils pourraient s'imaginer que vous êtes à l'origine de la disparation du corps, et du reste. Tout ce qui lui appartenait, qu'il avait acheté avec vous, ou même qu'il vous avait offert, direct dans le sac aux oubliettes. Ne remplissez votre sac qu'à 75 %, c'est qu'il va falloir le fermer, le descendre dans la rue. Evitez qu'il ne s'ouvre dans les escaliers, sur trottoir ou tout autre lieu commun. Pas besoin d'étaler sa forfaiture devant la boulangerie où vous prenez votre pain chaque jour.

Se barrer soudain, n'est pas une attitude typiquement masculine, contrairement à ce que l'on pourrait croire.
Les femmes aussi prennent la poudre d'escampette, avec les mêmes raisons banales, avec le même courage d'affronter les conflits, parce que la sincérité, l'honnêteté en un mot comme en cent, ce n'est pas du tout une obligation dans une rupture.
Chacun y met ce qu'il veut bien, ou ce qu'il peut tout court.

Il y a, dans cette fuite, une espèce de come back vers l'enfance, comme lorsque nous commettions une bêtise, un acte suffisamment grave pour nous pousser au mensonge, au déni, à la cachette secrète qui nous définit aussi surement qu'une empreinte digitale.

On trouve également chez les fuyards, cette angoisse terrible, celle de provoquer la peine chez l'autre. On n'est pas loin d'une vraie bienveillance, un quelque chose qu'on ne peut pas dire, que les mots pèsent trop lourds, sonnent trop haut.
On peut aussi partir, et pourtant, aimer quand même.

Il arrive qu'on laisse partir.
On se positionne alors comme le détenteur du sacrifice, celui de se laisser abandonner. C'est étrange, cette possibilité là. On peut regarder cette personne s'éloigner, se retourner un peu, elle vérifie qu'on ne va pas se jeter sous une bagnole, ou sous une trottinette électrique, puis continue à avancer, et nous, on sait déjà qu'elle ne reviendra pas. On se dit parfois, tiens, si elle se retourne, c'est qu'elle regrette déjà. Mais non, au bout de cinquante mètres, elle ne regarde déjà plus en arrière, toute occupée à sa fuite. Ses enjambées se font plus longues, agrandir la distance en accéléré. Puis, ce n'est plus qu'une petite silhouette qui joue à cache-cache avec les arbres, les voitures, les gens. Elle ne joue plus avec vous. Elle n'est plus là et c'est fini. Un point c'est tout.
Vous n'allez pas chercher à retenir un train qui a déjà dépassé la gare. Et là, c'est exactement pareil.
Vous allez attendre, parfois, comme avant.
Puis vous le ferez moins.
Votre mémoire se fera sélective.
Et tout ceci sera loin, d'un coup.

Il arrivera un jour, qu'on vous laisse partir, vous.
Et vous vous souviendrez à quel point c'est douloureux, d'être de l'autre côté du miroir, et malgré ça, vous vous retournez, vous aussi, en vérifiant que personne ne se jette sous un rien, juste pour vous rendre coupable de quelque chose d'encore plus grave.
Mais là aussi, rien du tout.
Parce que, partir, c'est aussi revenir.
Pas forcément au même endroit.
Quelquefois, juste à l'essentiel.

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