Je ne suis pas Madame Irma,mais....


...
Je fais partie de ces personnes instinctives qui se trompent rarement sur les événements à venir, et la nature profonde des gens.

Avec une entrée en matière aussi flamboyante, vous vous attendez sans doute à des révélations explosives, et vous n'avez pas tort. Je vais vous révéler, séance tenante, tout ce que j'ai pressenti dans la journée, depuis mon lever jusqu'à mon clavier allumé, qui frétille d'impatience sous l'avalanche d'informations qui se battent en duel pour intégrer sa mémoire qui flanche. Vous savez à quel point c'est agaçant d'avoir les doigts qui sont trop rapides pour un clavier, c'est la bagarre, et tout le monde tient absolument à placer son point final. Aussi, nous allons prendre le temps de répertorier par le menu ce que mon œil exercé a pu détecter durant ces quelques heures.

A l'ouverture des écoutilles, j'ai compris assez vite que ce serait migraine du jour, migraine toujours. J'avais raison, elle est tenace, mon corps est un abri antalgique à lui tout seul, et pourtant, là-haut, ça n'a pas demandé de reddition. La douleur est là, et si jamais je me surprend à m'interroger de son silence, elle se rappelle à mon bon souvenir aussi sec. Vers 4 h du matin, à l'heure de la nuit qui commence son estompage, j'ai entendu un bruit vertébral dans mon demi-sommeil, sauf que dans mon rêve, je traversais une clairière et brisai, dans ma ballade, quelques brindilles abandonnées. Mes cervicales ont un certain talent pour l'imitation, donc. Un songe prémonitoire. Un.

Puisqu'il fallait bien prendre les transports en commun, et que ma motivation matinale était neurasthénique, pour une durée indéterminée, mes jambes ont procédé à un ralentissement, comme une sorte de grève du zèle inversée, ce qui a eu pour effet d'arriver au carrefour pile au feu tricolore ; au lieu de partir en courant pour tenter d'attraper un bus, je suis arrivée pile à l'heure de son départ, l'horloge a basculé au moment où j'ai mis le pied droit à l'intérieur ; première place à ma droite, encore disponible, j'ai pu fermer les écoutilles vingt minutes dérobées à la folie quotidienne, presque meilleur qu'un cookie aux pépites de chocolat.

J'avais comme un doute sur la suite à venir. Et ça n'a pas loupé, les heures suivantes oscillèrent entre festival de la catastrophe, fantômes dans les coursives, et piqures de speed bipolaire.
 
Je l'avais promis.
Je vous dit ce que je vois, en vous regardant.
 
En une fraction de seconde, je peux voir que tu es amoureuse.
Tu as ce débit rapide qu'on ne retrouve que chez les gens sous l'effet de bouleversements biochimiques, et tout ce rose sur tes joues, ton front, ton cou sont autant d'indices révélateurs.
Je ne sais pas qui tu aimes.
En revanche, je sais que c'est une personne qui te fait du bien.
Tu es plus belle, plus fraîche. Je vois sur toi une espèce de chaleur qui émane de tout ton être, qui donne envie de te toucher.
Des fois que ce soit contagieux, ce serait formidable.
Je peux voir que tu as envie que le monde entier partage ta joie.
C'est un rayonnement intérieur qui se distingue de l'extérieur.
Tu es enviable.
Ce que tu vis est considérée comme l'affaire la plus importante de toutes parmi le panel des relations humaines.
Tout ce que je vois sur toi ressemble à ce que tu vis, en toi.
 
Je te vois, toi, perdu dans l'écran de ton portable, en train de tuer ton ennui à coups de bonbons virtuels.
Mais le pire, c'est qu'avec un ami à tes côtés, tu ferais sans doute la même chose.
Parce que ta solitude, tu as l'impression de la maîtriser, en choisissant comment combler ton vide.
Je ne te juge pas, je ne fais que te voir.
Je t'oublierai probablement au prochain virage.
 
C'est ton lâcher prise que je vois en premier sur toi.
Traits sereins, mains ouvertes, et bras décontractés qui chaloupent avec ton corps.
Tu es bien dans tes baskets.
C'est fou comme ça surprend.
Du coup, c'est un peu inquiétant quelqu'un qui va bien.
Peut être parce que ça renvoie aux autres leurs failles, leurs difficultés, leur envies de rester coucher.
Je connais quelqu'un qui applique le plus souvent possible, le " pour vivre heureux, vivons couchés ". C'est assez probant. Il est heureux, le bougre.
C'est curieux comme une personne heureuse est difficile à décrire.
On peut juste constater à quel point tout fonctionne.
Je vois que je suis meilleure traductrice en défaillance.
Je sais que j'adore ne pas pouvoir transmettre.
 
 
Je vois dans tes yeux un peu barbouillés par des vieilles larmes que tu ne sais plus. Tu as perdu ton chemin, et tu ne sembles pas chercher d'issue. Ce n'est pas que tu t'éteins, c'est juste que tu t'es mis en veille funèbre. Tout en toi s'est mis en berne.
Ton étendard ne flotte plus nul part, son drapé est aussi lourd que tes ciels. Ton sourire porte en lui ton abandon, avec les coins de ta bouche en ni oui ni non.
Même les sons qui butent contre tes dents sont étouffés par ta brume épaisse. Je ne peux que constater que tu t'enlises.
Et l'on ne peut aider que celui qui en exprime le désir.
J'attendrai.
  
Je peux entendre au son de ta voix que ton corps est laminé. Chaque insulte a fendu tes chairs mieux qu'une lame espagnole ; rien ne se referme et tes plaies soumises aux quatre vents gémissent à l'unisson. A chaque conversation, tu ressasses tes regrets, et dans chacun, j'entends ta souffrance si vive, si violente que je suis éclaboussée par ta douleur.
Ce n'est plus un cœur qui bat trop vite, c'est ton âme en danger.
On n'a jamais entendu parler d'une rupture d'âme.
C'est une sacrée belle erreur.
Lorsqu'on prend tout chez l'autre, y compris son âme, que croyez-vous qu'il reste alors que vous l'abandonnez ?
Après l'incendie, ne resteront que des cendres.
Et sachez qu'elles chuchotent, pleurent encore, remuent et voltigent jusqu'à la fin des jours.
Tu es, pour moi, une âme à sauver, sans aucun doute possible.
Je suis là.
 
Je vois que tu te caches derrière tes artifices.
Que plus tu y consacres de temps, plus ta cachette est confortable.
Que tu es drôlement douée pour donner le change, en société.
Que je ne me laisse pas berner, par ce que je sais.
Parce que je sais, aussi.
Que tout en toi fait silence en réparation des flots verbaux des autres, et parfois, que tu pourrais t'y noyer.
Que tu trouves ton ancrage ailleurs. Que c'est bien comme ça.
Que tu aspires à être écoutée.
Encore faudrait-il faire taire le trouble.
Que les bonnes oreilles ne se choisissent pas vraiment. Elles traînent juste dans les parages, il suffit de se coller un coup de pied aux fesses, et ouvrir les vannes.
Un juste retour des choses.
 
Je peux voir, enfin, que vous, qui me lisez, avez deux façons différentes de découvrir mes recherches.
Il y a celles et ceux qui se divertissent, apprécient le verbiage, le style, la ligne un peu directe mais honnête, en général.
Il y a aussi les autres, qui tentent de découvrir un autre sens à tout ce qui est exprimé ici.
Et je sais aussi, que l'essentiel, c'est qu'il y ait une ouverture dans mon écran, que vous puissiez vous y plonger et y prendre ce qu'il vous paraît bon pour vous.
 
Je vous l'avais dit.
Je ne ment qu'avec parcimonie.
Je ne suis pas Madame Irma, mais enfin, entre nous, je pourrai...


Commentaires