Les anniversaires, la galère à date fixe

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Faute avouée, à demi pardonnée, j'aime pas les anniversaires.
J'ai transmis involontairement ce désintérêt manifeste à mon fils, qui snobe avec désinvolture les années qui se présentent, inexorablement. Hier encore, il m'interrogeait à ce sujet. Pourquoi fêterions-nous une date qui nous rapproche un peu plus, chaque fois, de notre propre mort ? Que répondre à une question pareille, franchement ?
Bien sur, ça ressemble tout de même à une vision globale de notre temps dévolu, qui se perdrait dans un univers grignoté par le vide. Un peu l'attaque des Langoliers*, les mangeurs de monde. Fêter un anniversaire avec un monstre géant qui serait en train de bouloter ce qu'il vous reste à exister, ça coupe un peu l'envie de déboucher le champagne, et de souffler sur des bougies.
 
Sans compter qu'en plus, lorsqu'on souffle sur les bougies, non seulement on en profite pour contaminer de nos éventuels miasmes la totalité des invités, sauf les " au régime " ou les diabétiques, mais en plus, l'expression du visage se fige en faciès de poisson lune, les yeux exorbités par l'effort. Parce qu'en plus, il faut hypothétiquement éteindre toutes les flammes en un seul jet gazeux, ce qui paraît facile à vingt ans, et super craignos à quatre vingt. Si vous n'avez pas succombé à une crise cardiaque juste après l'expiration, vous avez droit à un morceau de gâteau. Y'a vraiment de quoi chanter une chanson, non ?
 
J'en profite pour rebondir sur la chanson traditionnelle d'anniversaire, qui est d'une nullité telle que les mots me manquent, et ça, c'est pas souvent le cas.
On peut noter qu'elle semble moins pire en anglais, surtout lorsqu'on ne parle pas la langue, ce qui donne une espèce de mélodie hyper connue, baragouinée dans une forme de yaourt gélifié des plus risibles. Et en effet, vous remarquerez que tout le monde rit et applaudit, à la fin de la satanée chanson. Ce n'est pas pour féliciter le veinard qui prend une année dans les gencives. Pas du tout, vous n'y êtes pas. C'est une Ola de finition, histoire de passer à la phase deux, des plus importantes, celle de la remise des cadeaux.
 
Ah, les cadeaux.
Edifiant, les cadeaux.
 
Il y a ceux qui ont été chopé en dernière minute, pas forcément parce que l'invité ne vous aime pas, juste qu'il n'a pas pris le temps, qu'il a été débordé, qu'il a oublié, bref, vous voilà avec une boite de cassoulet enrubannée de bolduc or et rose. Ou une brosse à dents électrique en direct de la pharmacie à vingt mètres de la maison, vu que la voiture est garée juste devant. Tout le monde a reçu, je pense, un cadeau improbable. Je passerai sur la règle de courtoisie qui nous demande de la boucler, et de remercier la personne qui a si gentiment (c'est cela, oui...) pensé à nous.
Je connais une personne qui a créé un petit placard spécial cadeaux de merde, qui les recycle avec ses collègues de travail qui l'adorent, du coup. Le comble de la félonie ? Plutôt le comble de l'opportunisme...
 
Les proches sont ceux qui se retrouvent sur la sellette en cette occasion si spéciale. Impossible de faire l'impasse sur l'anniversaire de sa meilleure amie, de son amoureux, de ses propres enfants, ou de sa mère. Et là, soit on connaît par cœur les goûts de notre entourage, et l'affaire est vite réglée ; soit on rame un peu, parce qu'il faut bien le reconnaître, ils ont une tendance à chipoter sur tout, que les années précédentes, vous avez bien vu cet air condescendant en ouvrant votre paquet.
Là, il n'y a pas à tergiverser.
Ou bien vous assumez votre excentricité, et cette année, ce sera cadeau fait maison pour tout le monde, et celui qui n'aime pas les écharpes en laine mérinos, qu'il l'a boucle ou s'étouffe avec.
Sinon, vous faites profil bas, et vous  vous rencardez auprès de la personne sous les feux des projecteurs pour une journée, et lui offrez exactement ce qui lui ferait plaisir. Vous aurez sans doute droit à un jeu de rôle timide, un " mais non, ce n'est pas la peine, viens simplement comme tu es, ça me fera plaisir ". Surtout pas ! Cette phrase là pourrait bien être le signe du déclin de votre amitié. Si vous êtes invités, votre présence Et votre présent seront attendus. Voire, juste votre présent. Une absence de dernière minute peut se justifier fort honorablement avec l'envoi d'un bouquet de fleurs, ou d'une boite de chocolat. Le geste qui compte, souvenez-vous de cela. Il vous faut marquer le jour avec un geste qui compte.
 
Quelle pression pour une date, sérieusement.
 
Certains ont trouvé une option astucieuse : ils ne fêtent que les décennies. C'est une bonne alternative. Tous les dix ans, ça permet de faire le point sur les copains encore en vie, les divorces, les remariages, les coming out, les beaux voyages, les nouvelles dans les grandes lignes.
Et c'est quand même plus gai qu'un enterrement.
J'ai loupé la dernière, je me rattraperai pour la prochaine, parole de scout.
 
Bon, après, il faut reconnaître qu'il m'est difficile de fêter mon anniversaire parce qu'il faut bien constater qu'en l'état, quelle que soit mon année de naissance, je ne les fais vraiment pas...


* Réf. Stephen King

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