L'homme du midi ne ment pas, il se trompe...

 
 

 


 

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D'après les scientifiques, le concept du mensonge s'inscrit dans le patrimoine génétique. Globalement, il ne se trouve pas en terres inconnues. Et reconnaître sa pratique a tendance à vous classer directement du mauvais côté de la barrière, celle dans laquelle on envoie, sans autre forme de procès, tout en vrac, les escrocs, les bonimenteurs, les voleurs, les mythomanes, et pendant qu'on y est, les schizophrènes à qui, vraiment, l'on n'épargne rien.

Pour autant, devenons-nous réhabiliter le mensonge ? 
S'il peut être empreint de courtoisie, voire, de diplomatie, il représente aussi tout ce qui est caché.
Et les vérités nues sont-elles vraiment aussi nettes qu'elles le prétendent ? Il se peut que la frontière soit infime entre le cru et le flou, le blanc et le noir.
Et le mensonge n'existe qu'au travers de sa vérité.
Si vous me suivez, cela méritait qu'on y jette un œil plus averti.

Le mensonge joyeux, c'est celui qu'utilise les humoristes, caricaturistes et autres drilles, dont les affirmations fantaisistes n'ont pour but que l'amusement, l'ironie, et tout ce qui a trait à la plaisanterie. Enfin, c'est sa définition générale.
Pourtant, je me souviens d'un grand moment de solitude alors que nous étions, quelques amis et moi, installés face à une scène de cabaret, que le comique à l'affiche a commencé à s'en prendre au public, avec une régularité terrifiante. Chacun d'entre nous se transformant en cible probable, et le constat fut vite sans équivoque. Les rires se firent de plus en plus hystériques, sans doute pour chasser l'angoisse d'être, peut-être, le prochain sur la black list du malandrin. Quand enfin, il tomba sur l'os. Un grand gaillard rougeaud se leva, fonça droit sur le plaisantin qui venait de fustiger sa compagne, et sans coup de semonce, lui planta son poing dans le citron. Un instant de stupeur totale plus loin, les applaudissements du public hilare, debout, déclenchèrent la fuite définitive de celui qui avait poussé le bouchon un peu trop.
Il me semble que le joyeux mensonge comporte tout de même quelques risques dont il faut tenir compte avant usage, ne croyez-vous pas ?

L'omission d'une vérité, du genre de celle qui n'est pas bonne à dire, ni à attendre, c'est un mensonge officieux.
Et là, c'est le pactole.
Le mensonge autorisé parce qu'il tient compte des répercussions, les fameux dommages collatéraux qui font frémir les bonnes consciences. Il s'applique aussi bien dans le soin, que dans les actes quotidiens, aussi souvent que les circonstances l'exigent.
C'est aussi une affaire de décence.

Face à un malade incurable, l'omission est parfois demandé, pour un temps, aussi bien par les proches, que les patients eux-mêmes. C'est que la possibilité d'une mort imminente, ça ne s'envoie pas en pleine face en discutant de la pluie et du beau temps. Elle a besoin de s'apprivoiser, d'être assimilée. C'est une épouvantable décision que d'en parler. Doit-on à tout prix tout dire ?

Dans un registre plus léger, si vous tombez sur votre meilleur ami en pleine séance de réanimation avec un inconnu, il est bon de se souvenir que ce n'est pas parce que vous avez été son témoin de mariage, que vous deviez rendre des comptes à la moitié du département. La discrétion peut-elle être assimilée à un mensonge de circonstance ? On aura tendance, en général, à penser que ce ne sont pas nos affaires, et la règle du " pas vu, pas pris " reste active.
De la même façon, ne pas sortir les trompettes pour prévenir la population de tout ce que vous voyez, c'est un peu ça, vivre en bonne intelligence avec les autres.

Pour les personnes qui ne mentent que pour nuire, c'est une autre paire de manches. Non seulement, ce mensonge pernicieux est mal vu, du Nord au Sud et d'Est en Ouest, mais en plus il place les utilisateurs dans le sac répugnant des mauvaises personnes.

Il est intéressant que constater que toutes civilisations confondues, le mensonge malicieux est considéré en qualité de faute grave.
La notion de pêché reste chrétienne.
Les autres religions ne sont pas en reste. Le mensonge est défendu, et bien peu valident même l'omission. Le seul envisageable reste celui qui surfe sur la vague de l'humour, encore faut-il qu'il soit drôle. Ce qui ne reste pas gagné, selon l'endroit où l'on se trouve.

Ne peut-on pas lire, dans l'excellent Tartarin de Tarascon*, que " l'homme du midi ne ment pas, il se trompe... ".
La nuance est fantastique !
Et ça rajoute une dimension amusante à cette notion de mensonge.

Je conclurai en insistant sur le fait que notre morale civilisée a fort à faire afin de contrecarrer les natures profondes de notre espèce. Car il semble que le mensonge soit aussi bien une réaction naturelle face aux émotions trop fortes, qu'un jeu innocent qui tend à la transformation pour finir en distorsion malsaine.
Cela en devient presque une réponse au questionnement individuel, celui concernant certaines peurs irraisonnées, comme les phobies sociales par exemple.
En énonçant nos tendances à mentir, nous frôlerions, qui sait, la source de nos craintes. Instructif.

Comment aurai-je pu vous inventer un tel baratin sans chercher, un peu, à vous séduire ?
Allez savoir...


* Alphonse Daudet

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