Oui à la sandale unique !


...
Mon constat est simple.
Lorsqu'on se cramponne à l'idée que l'autre va revenir, on se trouve dans la spirale du déni, comme tout le monde le sait déjà.
Je me suis interrogée sur la raison pour laquelle on restait si longtemps dans l'attente de quelque chose qui n'arriverait plus.
Et j'ai soudain compris.
C'est qu'il s'agit d'un acte inimaginable, humainement parlant.
Il est contraire à toutes les règles civilisées.
Etre abandonné, qu'il s'agisse d'un enfant, d'un ami ou d'un amour, c'est être déconsidéré dans sa propre intégrité humaine.
C'est se transformer en objet, quelque chose que l'on laisse derrière soi, sans état d'âme, à l'instar d'une vieille sandale unique. Je ne tente pas la comparaison avec d'archaïques chaussettes trouées, car je sais que bon nombre d'entre nous y accordent une affection déraisonnable, continuant à les porter contre toute attente. Pas question de reprisage, juste elles se portent encore, le doigt de pied qui sort par la lucarne, tel un clin d'œil enfantin au regard parental inquisiteur, peut être.

On serait donc déconsidéré.
Et ça va super loin, du coup.
Comment accepter d'être, ou plutôt, de ne plus être en considération du regard de l'autre ? Pis encore, s'il s'agissait d'un regard aimé.
On se souvient que le temps guérit tous les maux, je l'ai assez écrit dans bon nombre de chroniques, alors oui, ce désaveu va finir par cicatriser, comme tous les autres.
Mais qu'en est-il de soi ?
Lorsqu'on assure une cicatrisation, on sait bien qu'en dessous, la chair reste sensible. Nos terminaisons nerveuses ont mémorisé la souffrance, ont mesuré la lenteur avec laquelle la plaie s'est refermée, voire, ont rajouté un paquet de globules défensives alentour, des fois que ça recommence.

Comment faisons-nous, nous, avec nos petits cœurs en lambeaux ?
On ne peut pas colmater ce qui est vital.
Il est impensable d'empêcher les battements d'un organe dont ce sont les fonctions principales. Un moteur doit tourner, y compris au ralenti, en toutes circonstances.
Alors on le laisse battre, ce petit cœur blessé, et on morfle salement, vu qu'il n'y a pas d'anesthésie durable, donc.
Bien sur, on peut toujours un peu picolé, beaucoup, c'est bof bof, et la sobriété revenue, c'est encore pire. Globalement, tout ce qui camoufle un moment la douleur, ça sert juste à reculer un peu plus l'échéance.

Nous avions déjà évoqué les chagrins d'amour, on ne va pas y revenir. On y a droit, point barre.

Mais se rendre compte que le plus insupportable, ce n'est pas tant l'abandon en soi, parce qu'entre nous, on s'y attend toujours un peu, à l'affaire. On avait déjà commencé la lente agonie du début de la fin, puisque nous sommes dotés de ce satané sixième sens qui nous prévient des cataclysmes, genre.
Du coup, les cœurs en miettes, on est toujours sur le qui-vive.
Sans compter qu'il y a des spécialistes.
Allez savoir pourquoi, mais souvent, ce sont les mêmes qui s'en prennent plein la poire. Comme si le compte n'était pas encore bon, qu'il faille de nouvelles volées de bois vert, bien que non masochistes, ces pauvres ères ont la fâcheuse tendance à la collection d'abandons. Le plus intrigant reste leur capacité à laisser la porte ouverte au tout venant, une auberge espagnole de la loose, un lieu-dit " Tapez en plein cœur, on gagnera du temps ".

En parallèle, j'ai pensé que, peut être, les malheureux l'avaient bien cherché, d'être abandonnés. Cela pouvait paraître logique, après tout. Sauf qu'il n'y a pas de science exacte en la matière. Tout le monde peut prétendre à la palme, à chaque instant. Et ce ne sont pas les personnes les plus détestables qui seront en haut de l'affiche. Bien au contraire.
Comme si la méchanceté éradiquait durablement l'idée même de pouvoir abandonner quelqu'un qui maîtrise les pires aspects d'un être humain.
C'était donc une nouvelle piste à suivre.
Ce pouvait-il que les plus désagréables des êtres exercent une sorte de fascination sur les autres, les faibles à forciori ? Un rapport de force qui peut se concevoir, sauf que les plus forts ne sont pas non plus les plus nocifs. La faiblesse apporte elle-aussi son lot de casses bonbons irréductibles, de ceux qui vont faire de votre existence un mur géant de la lamentation quotidienne, et ça, en toute honnêteté, on peut comprendre que ça puisse mener à une fuite éperdue, sans se retourner. C'est pas sympa, certes, mais ô combien salutaire, sérieusement...

On peut donc considérer qu'il n'y a pas de règle aussi bien pour les abandonnés, que pour les lâcheurs.

On peut juste prendre note de cet état de fait.
Etre abandonné, c'est ne plus être.
Momentanément.
C'est se perdre un peu aussi.
Et surtout, c'est se voir rejeté.

Le rejet.
La négation de soi par l'autre.
C'est un non, je ne veux pas/plus de toi.
Et constater que l'autre part, sans se retourner.
Pour se retrouver en l'état, la fatale sandale unique.

Il faut bien comprendre que l'on ne peut absolument rien y changer.
Il s'agit alors d'entendre que l'acceptation du non désir de l'autre ne change pas ce que nous sommes. C'est son propre regard, pas le notre. C'est son propre départ, pas le notre. Nous ne sommes pas ce que les autres croient voir de nous. Nous sommes ce que nous sommes. C'est très différent. Pour tout dire, ça change tout.

Et si ça nous plaisait, à nous, d'être juste une sandale unique ?

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