La poésie est partout



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Lorsque j'étais enfant, la fin du jour correspondait à quelque chose qui ressemblait à une promesse. J'aimais atteindre ce point de presque départ, l'instant entre chien et loup, la dualité de la lumière et de l'obscurité, toujours à tâtons, sans jamais se toucher vraiment.

Les années ont passé, et j'ai perdu un peu de cette innocence, de celle qui dépasse nos rêves à venir.
Pourtant, je continue de distiller cette essence fantasmagorique, m'enivrant quelque fois de subtiles projections, fumées fugaces, engendrées par magie d'un esprit qui s'égare au détour d'un nuage.
La poésie est partout.

Je pourrai la laisser s'enfuir, glissant avec la régularité d'un comptage de sablier, le retournant encore, que les mots ne cessent jamais leur ronde gracieuse.
Je préfère l'accompagner au pas à pas, découvrant à chaque chose la beauté discutable que peu sauront saisir, l'art n'est pas une évidence qui s'accroche à vos basques, ourlant vos cils de précieuses ridicules. C'est l'instant que chacun trouvera dans sa grâce, et s'ouvrira alors, d'épanouissement bercée.
Il y a dans la poésie, quelque chose d'ineffable, qui nous confond dans la matière, c'est une violette fragile cachée sous le talus de notre réalisme. Sa corolle se décrispe entre humidité de mousse et chaleur nouvelle, tige arachnéenne, un peu torse de ce poids plume qui repose, ployant sous le joug d'encre délavée.
La poésie est partout.

Cet escalier à la propreté douteuse, aux papiers gras qui s'agrippent à la dernière marche, les rambardes rondes scarifiées par ces milliers de mains, tantôt baguées, bracelets ou montres contondantes, poignées de parapluie velléitaires, les années gantées post covid, à se protéger de tout et de rien, ces agressions olfactives, celles qui vous indiquent que le lieu est propice aux déjections de tous, quatre pattes inclus, cet escalier n'est pas beauté, à première vue. Mais qui a dit que seule la beauté pouvait se prétendre poétique ? Le descriptif, lui, rajoute une dimension inattendue. Il étend notre regard, vision comprimée naturellement, on préfère se référer à l'agréable. On s'attarde aux détails, on reste factuel, on tente la précision, on adjectivise, et voilà que soudain, se présente à nous, la réalité des choses. On ne soustrait plus rien, et c'est ce cru et nu qui nous plonge dans cet escalier, certes, dégueulasse, et observable pour bien faire. Mieux faire. Seconde marche, un petit caillou brillant comme un diamant mal poli, s'est incrusté sous un talon vitupérant. Possible que ce soit sous des dizaines de talons, tous différents, enfonçant la caillasse de lumière comme un clou dans un mur de béton. Sous la pression multiple, l'objet minuscule va s'écraser un peu, étalant ses rayons pour s'éteindre aux nouveaux mastodontes du jour. Au bout d'un temps certain, le demi carat va trouver sa place, à quelques millimètres d'un mégot jeté là, encore fumant, des traces nacrées sur son filtre, sa cendre se consumant par habitude, plus rien ne propulse rien, elle s'étiole juste, et sa promiscuité avec le strass d'infortune le fait un peu briller, une fraction de seconde.
La poésie est partout...

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