On récolte ce que l'on sème



Lorsque j'ai entendu pour la première fois cette expression, j'étais enfant, et ne comprenais pas très bien comment une petite graine pourrait germer dans mon cerveau sans causer de dommages irréversibles. J'avais bien visualisé la graine, les cours de sciences naturelles m'avaient éclairée quant à la germination, au demeurant fascinante, cette petite chose étrange qui s'extrait lentement de sa coquille, vermisseau de fleur, d'arbre ou de mauvaises herbes. La nature n'a pas d'état d'âme à l'heure de la naissance des choses. Ce qui doit pousser, pousse, et puis c'est tout. Le reste, elle laisse faire l'ordre des choses, cette grande roue étonnante qui emporte le miracle de la vie parfois vers de hautes sphères, tantôt vers l'oubli.
Ce que je n'arrive pas à déterminer, c'est la véracité de cette affirmation, en réalité.
J'ai semé des tas de choses, et je dois bien reconnaître que les résultats n'ont pas été probants. Alors je veux bien envisager que, peut être, il s'agit d'une problématique liée au terrain ; en effet, si l'on plante dans l'infertilité, rien ne sortira. Encore faut-il savoir, à l'avance, que ce sol-là n'est que poussière, que de la poussière ne jaillira pas de floraison luxuriante, autant attendre en plein désert que surgisse un champ de blé, ou d'herbes grasses comme en Normandie. Admettons qu'on ne puisse pas récolter toujours ce qu'on sème, la faute à un environnement inapproprié.
Grosso modo, si on sème le vent, la tempête n'est pas une certitude absolue, et ça m'a fait drôlement cogiter.
Par exemple, tu apprends à tes enfants de se comporter avec honnêteté dans la vie, parce que l'intégrité morale, c'est se porter garant de sincérité. Mais si tu demandes à tes enfants quelque chose que tu n'appliques pas, comment être crédible ? Alors tu tentes de te tenir à carreaux, tout le temps, en espérant que tes gamins vont finir par s'inspirer de ta droiture, quand bien même elle te coûte cher, parce que dans les faits, tu es entouré de pleutres, de traîtres, de menteurs et de tricheurs. C'est exactement ça, un endroit civilisé. Un mélange transgenres qui surfe non stop avec les lois, les actes de bravoure, les crises identitaires, les super héros se cachent pour survivre, et toi, tu n'as pas envie qu'on te remarque. Tu préfères l'incognito, planqué dans tes survêtements unicolore, un truc qui rappelle vaguement une capote anglaise, vissée sur tes cheveux écrasés sur tes oreilles. Ne rien entendre, c'est rester vivant. Et tu te souviens des trois singes. Ne rien voir, casser les miroirs. Ne rien dire, de toute façon, qui entendrait ?

Curieusement, si tu sèmes du mauvais grain, tu récoltes l'ivraie. Un truc qui fait penser à l'ivresse, comme si le bon peuple allait se saouler soudain pris d'une frénésie, de peur de se souvenir. Ne pas être gentil, protège-toi. Ne pas tendre de main, on roule sur les blessés. Certains appellent ça se protéger. Moi, je considère de la façon la plus factuelle qui soit que ce sont des connards. Et souvenez-vous que le ciel qui s'obscurcit, ce n'est pas toujours un nuage gris, ce sont quelquefois les connards qui prennent la tangente…

Tout de même, j'étais un peu troublée dans mon raisonnement, parce que je n'avais pas l'impression d'avoir déconner au point de n'obtenir qu'une récolte toute miteuse. J'ai donc entrepris des fouilles, chronologiquement, et petit à petit, j'ai découvert ce que je redoutais un peu. Prise dans mon enthousiasme de semeuse en bons sentiments, il m'était arrivé d'avoir un peu fermé les yeux sur les grains jetés aux quatre vents. Alors oui, il y a eut des petits pas trop frais, un peu fripés, un tantinet sur la pente du pourrissement, à la limite de la zombification. Bon sang mais c'est bien sur !

Et puis j'avais aussi oublié une règle élémentaire en matière de sciences humaines. Si l'on récolte ce que l'on sème, nous ne sommes pas Dieu et n'avons aucun pouvoir sur l'évolution naturelle des êtres. Si l'on peut influencer cette nature des choses et des gens, on ne les change pas. Transformez la nature, elle revient au galop. Et voilà comment ma déception s'est transformée en théorie de la relativité des sentiments humains. On peut donner jusqu'à en perdre la notion des choses, un buvard ne peut absorber plus que ce pour quoi il a été conçu. CQFD.

Bien sur que je trouve ça incroyablement rassurant.
C'est important de comprendre que chacun a ses propres choix à faire, qui ne sont pas les nôtres, qui n'entreront pas forcément en collision avec la terre entière, qu'un mauvais choix pour nous, peut être bénéfique pour l'autre.
Alors hier, j'ai semé de l'espoir. Et qui sait ?


Commentaires