Y'a pas de problème, y'a que des solutions...


Déjà, vous avez le fin mot de l'histoire. Voici comment, par le menu détail, j'ai multiplié par trois, le temps que je m'étais imparti pour un banal renouvellement de carte d'identité.
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on n'entre pas dans une annexe de mairie, comme dans un western, poussant d'un air dégagé une double porte battante en bois de persienne. Ben non. Pour être précis, il faut d'abord le trouver, le bureau annexe. Et bien avant ça, il faut avoir pris rendez vous auprès du dit bureau, soit un bon mois d'attente. C'est un peu comme pour aller chez le podologue, faut prévoir à l'avance, sauf que la carte identité périmée depuis trois ans, on s'y attendait un peu à la refaire, alors qu'une mycose, c'est un peu l'imprévu qui se jette à vos pieds.
Donc, j'avais pris rendez vous, et comme je suis quelqu'un de parfaitement désorganisé, j'avais choisi la date la plus éloignée, histoire d'avoir le temps de :
a) retrouver un document officiel prouvant ma domiciliation, vous allez vite comprendre que c'était idiot, vue qu'au final, on m'a demandé de mailer ma dernière facture téléphonique
b) arriver à persuader mon ado de fils qu'il faut aller jusqu'au photomaton avec sa vieille mère, soit deux obstacles ô combien complexes, photos pourries hors selfies plus accompagnant maternel, la loose
c) être en vacances pour ne pas annuler au dernier moment, la faute à un planning professionnel de ministre que je ne suis pas, sans le budget ni la secrétaire qui gère tout ça très bien 
Donc, j'ai pris un mois d'avance. En fait, j'ai pris ce satané rendez vous pendant ma dernière semaine de vacances, pour la prochaine semaine de vacances, si vous me suivez bien, vous constatez que la paperasse et moi ne sommes pas des plus en accointance, mais bon, comme beaucoup d'entre nous, je pense.
Ce matin, réveil et banzaï, tout le monde sur le pont.
Hier déjà, j'aurai pu lire les signes que tout allait partir de travers, au moment où nous nous sommes pointés au premier photomaton (nous en avons écumé quatre, pour tout dire), qu'il était en panne, puis celui du métro avec son rideau tellement dégueulasse que j'ai failli gerber dessus (un de plus, vous me direz…), etc, pour finir, les fesses posées sur un pouf lumineux orange vif des plus curieux, l'œil vide, le sourire interdit, puisqu'il le faut, faire la gueule sur les papiers d'identité, c'est la règle. On est pas là pour rigoler, oh !
Et comme la ponctualité est importante, nous sommes sur site, pile à l'heure.
Tout se déroule admirablement, l'employée est vraiment charmante, patati patata, on tape la discussion, tiens la votre aussi est périmée, allez je vous attends, on va la refaire aussi. Je me félicite intérieurement d'être aussi bien tombée, avec cette petite dame, et j'arbore le sourire de circonstance, celui de quand tout va bien dans le meilleur des monde. Je fais faire, sur place, les photos du genre gros dossier, à planquer dans la cave, repatati, quand soudain, c'est la catastrophe.
Sa supérieure me jette un œil inquisiteur, et me demande ce que je fous là, moi et mon gamin, alors que nous n'avons pas rendez vous. Diable ! Je m'insurge, et pour montre ma bonne foi, je brandis mon téléphone sur lequel on peut lire mon numéro de dossier, et toc, et le lieu, et … PTG !
Me suis trompée d'annexe.
L'hallu.
Bon, ben oups quoi. 
L'employée trop gentille veut me faire passer quand même, mais sa chefe, c'est pas question même pas en rêve. Et flûte. Je ne tente même pas de ramener ma fraise, ce qui serait un comble ; j'ai été distraite au moment de la lecture, sans doute, ou je ne sais quel acte manqué. Ah ben si, je sais. Je suis retournée à l'endroit initial de ces mêmes pièces d'identité. C'est ballot et un peu touchant, finalement.
La trop gentille passe un rapide coup de fil au bureau où nous avions rendez vous pour savoir s'ils sont d'accord pour nous recevoir malgrée une bonne heure de retard, c'est oui, et là, j'ai envie de lui faire une bise tellement elle est trop gentille. Elle nous fait même des photocopies en plus pour qu'on arrive avec le dossier tout béton, et franchement, nous repartons un peu abasourdis, tout penauds, sans imaginer un seul instant la suite.
C'est qu'elle est longue, la rue qui va nous mener à la nouvelle annexe, pauvres de nous. Sans compter que, concernant la proximité, on ne pourra plus évoquer ce mot là sans piquer un fou rire, dorénavant. En réalité, notre annexe à nous se trouve juste en dessous de l'escalier menant à Notre Dame de La Garde, si vous voyez ce que je veux dire. C'est qu'on va se frapper le Bd Louvain, pente à je ne sais combien de degrés, mais avant ça, on a grimpé déjà la même chose, en trois fois plus long. Non, non, je ne fais pas une fixation sur le chiffre 3. C'est juste que par deux, ça n'aurait pas été aussi truculent, faut reconnaître.
Lorsque nous atteignons le sommet de cette satanée rue, que nous rampons presque jusqu'à l'intérieur du bureau, je sais que j'ai changé de couleur depuis environ dix minutes, pour virer au cramoisi. Il fait tout de même 32° qui se rajoutent aux degrés des pentes urbaines qu'on vient de gravir. Le cumul, mes amis, le cumul.
Et là, c'est l'Oasis au milieu du désert.
Une dame au regard bienveillant, les mains sur les hanches, nous attend au beau milieu de son bureau climatisé. Elle est sympa, rigolote, et très vite, la dernière heure de grimpette urbaine, en mode bouquetins marseillais d'infortune, et bien nous l'oublions. Elle sait tout, nous prend en charge comme les malheureux abandonnés que nous sommes, gère avec maestria, et faut bien reconnaître que c'est sacrément agréable. Je la nomme employée du mois, dans un coin de ma tête, et si sa verve amusante continue, je lui file en plus une médaille olympique, la plus balaise, celle en or.
Alors oui, nous avons mis trois heures pour faire ce qui aurait du l'être en moins d'une. 
Parfois, le temps n'est rien. Juste le moyen de quantifier les choses qui nous échappent, de toute façon. Et c'est au moment le plus inattendu qu'on découvre à quel point un peu de bonhommie, une dose homéopathique de smile, transforment le temps que l'on croyait perdu, en quelque chose de bien plus précieux. Des mains tendues, et ce temps qu'on nous offre, en plus, sans rien attendre en retour.
Et puis, mon gamin du haut de ses seize ans, dans les configurations de galère, il est toujours hyper décontracté. Donc…
Y'a pas de problème, M'man, y'a que des solutions...

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