Dis moi ce que tu vois


...
Est-ce que tu vois cette petite étincelle, là, juste dans le coin de mon œil ? Non, ce n'est pas une tâche dans l'iris, c'est ma petite loupiote d'intérêt. Elle ne s'active que lorsque je manifeste autre chose que cet ennui macrophage qui englue de tous ces miasmes le silence de mes nuits, celles sans toi, sans ailes, sans ciel pour me réfugier, tout en haut, dans les cimes.
Sais-tu comment elle fait pour s'allumer, cette diode verdoyante ? Tout d'abord, elle est munie de capteurs ultra sensibles. Ils sont conçus pour détecter mes émois, tu sais, comme lorsque tu prends ma taille pour m'attirer contre toi, que c'est tellement irrésistible que je ne sais que laisser faire.
Il y a des tas de choses que je regrette. 
Déjà. 
Alors que le commencement est à peine à sa lettre N, et moi, j'anticipe trop vite, trop loin, c'est mon cerveau qui me parasite, il ne sait pas faire dans la nuance, lui, il voit juste ce qui lui semble bien pour lui, son confort, son fonctionnement optimal. C'est sûr que lorsque je suis heureuse, il grimpe direct en flèche dans son clocher, il fait tintinnabuler les carillons, résonnez petites cloches de cuivre, elle a son cœur qui bat, un peu plus vite, et les sons s'amplifient pour battre la campagne, les vallons et collines, les bois enchantés, enchanteurs, en chantant, et c'est l'allégresse, l'euphorie la plus amusante qui soit.
Tu vois à quel point il m'est difficile de temporiser, à moi.
On taxe les gens comme moi d'hyper sensibles, et sans doute le suis-je, à mon corps défendant. On ne se refait pas sur l'essentiel.
Mais il me souvient que ça ne te dérangeai pas, tantôt.
Ah le bon compromis que la gonzesse à fleur de peau, et toi, à fleur de cils, papillons légers contre la hanche, baisers de sel sans les larmes, elles viendront après, on a bien le temps, crois-moi, mais elles viendront, aussi certain que ce ciel qui s'ombrage de ton absence, les silences n'aident en rien les amours compliqués. Rien ne peut sauver un amour qui ne s'harmonise pas sous les traits fragiles d'un pinceau anarchiste.
Je me demande.
Alors je te demande.
On peut parler d'honnêteté, si tu veux. Tu sais, on passe un deal, on part sur le principe surréaliste qu'on dit tout ce qu'on voit. On vire le filtre du politiquement correct, on le déchiquette et le disperse aux quatre vents, pour pas qu'il revienne comme un blob indestructible. C'est une sacrée chienlit, les codes de bienséance. On s'y cale tous, bon gré, mal gré. Malgré nous. Mal gréé nous.
Je t'ai demandé de m'accorder trois secondes, tu vois, compte avec moi, un, deux, trois, c'est si court que t'as même pas le temps d'y réfléchir, et ça m'arrange, ne pense plus, juste dis moi. Moi. Toi. On a joué, un peu, et finalement, le jeu n'est plus si drôle. La stimulation de l'inconnu, tu sais, cette histoire de " loup, y es-tu ? M'entends-tu ? " … tu mets tes chaussettes, et je te regarde de dos, ton dos rond de chat qui met ses chaussettes, ou lace ses chaussures, un peu comme si la culpabilité te courbait déjà comme un poids terrible, et tu ne parles plus, tu regardes juste tes lacets, et je retiens mon élan. A quoi servirait mes bras si tu ne tends plus qu'à partir, le plus vite possible, sortir, sortir, vite, un prétexte, n'importe lequel, y compris sans panache, une issue d'urgence, de secours, ô secours mon amour.
D'accord.
Je te laisse filer. A l'anglaise. Tu te ravises, et sors de ta poche ton pass de voiture, et tu t'excuses avec tes épaules qui bougent d'avoir eu l'audace d'y avoir même songé, alors que nous nous sommes aimés pendant des heures, heures hindoues, heures impies, heures folles et tendres, et tu ne peux pas regretter, ce qui est fait restera gravé sur nos peaux, les odeurs, le souvenir de la douceur, exhalaison de murmures, des rires étouffés, de la joie, du plaisir, tes yeux mi-clos et ce temps suspendu contre toi, contre moi.
Si je savais à quel point ça doit mouliner, là-haut, sous ce front qui se plisse, pour ne plus bouger, stopper toute activité, c'est douloureux, la réflexion, et puis, surtout, aucun regret, aucun remord, tu as de la chance de savoir choisir ce qui est bon pour toi, moi je ne sais jamais à quel saint me vouer, alors je prends les deux, non pas par gourmandise, juste parce que je n'ai jamais su, n'ai jamais appris, trop finalement, c'est souvent trop peu, autant prendre tout.
Puis un matin, on se lève. Pas ensemble. Chacun de son côté. J'essaie de me souvenir de ta bouche, et rien. Je devrai être soulagée, c'est de la douleur qui n'arrivera pas à percer mon p'tit cœur de fille fragile et même pas vrai, je me sens triste comme une enfant perdue sur le chemin de l'école. Je voulais pas y aller, j'ai commencé à traîner des pieds, à musarder sous le soleil pâle de l'hiver, j'ai passé quelques minutes à observer un papillon orange comme une mandarine, ses élytres folles, puis soudain, j'étais en retard, et je ne savais plus quoi faire. Et si j'arrivais trop tard ?
Dans une vague insurrectionnelle, je t'ai refilé le cadeau. Pourquoi devrai-je me sentir coupable, moi ? Moi qui suis libre comme l'air, moi qui peut enfin ouvrir mes bras, mes ailes, mes yeux sans avoir à justifier à quiconque de mes volutes, vois comme je danse sur les toits, regarde mes doigts qui voltigent, glissent tels de petites ballerines roses, nacre aux joues, unies comme les doigts de cette main qui les tient, vois, apprécie, aime.
Tout est encore une question de choix, que je ne ferai pas.
Je ne te choisis pas.
Je me choisis, moi.
Tu vois ?

Commentaires

  1. Il me semble te l'avoir déjà dit tu es une femme qui a l'amour des mots . Tous ces mots donnent de belles phrases. Toutes ces phrases donne une belle image de toi .

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    1. Ton amitié indéfectible m'est précieuse, Sylvain. Merci :>

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