L'homme qui peut peu


...
C'est qu'il est ambitieux, le bougre. 
Comme quoi, la bouffonnerie n'exclue pas le fantasme de posséder en soi cette capacité incommensurable à prendre possession de ce que l'on désire.
Tout d'abord, il est impératif de retracer, dans l'ordre, la procédure à suivre afin d'obtenir, à l'insu du plein gré d'autrui, ce que vous n'auriez jamais, mais alors, jamais pu avoir avec son accord.
Et tout ceci n'est possible qu'en s'imposant quelques règles élémentaires dont nous allons détailler ici les consignes.
Ah mais oui !
Ne croyez pas que le bluff est une affaire à prendre à la légère.
C'est qu'il est extrêmement difficile de faire passer des vessies (de porc, au hasard, n'est-ce-pas) pour des lanternes (chinoises, par exemple). Même si, pour finir, les unes peuvent facilement se substituer aux autres. A l'instar d'un préservatif géant, la vessie possède la particularité d'être opaque. Cela n'a l'air de rien, et pourtant, ce détail précis est d'une importance capitale. Car voyez-vous, plus c'est flou, mieux ça passe.
De la même façon que vous aurez un mal fou à vous diriger dans un tunnel avec pour seule lumière, une flamme d'allumette. On va considérer que, grosso modo, elle va rester allumée environ 8 secondes, ce qui est colossal pour allumer une clope, l'est beaucoup moins pour traverser 50 mètres de couloir noir comme le trou du cul d'un bouseux du Nebraska. 
Mais ne nous égarons pas trop au Nord, puisque notre homme qui veut, va devoir tout d'abord reconnaître son incapacité à faire. Et oui. S'il faut en passer par le mensonge, il est toujours bien plus simple de trouver un prétexte fallacieux, ça aide vachement. Donc, notre homme, lui, il veut. Il veut avec détermination. C'est un peu genre un obstiné, si vous pouvez comprendre ça, cet esprit de compétition qui fait qu'on ne peut imaginer se mettre en quête et ne rafler aucune médaille. Plus personne ne tenterait rien. Ni courses, ni que dalle. Les jeux olympiques se transformeraient en jeux épiques, les nations n'auraient plus aucun intêrét à rafler la mise, parce que franchement, gagner juste pour l'honneur, s'il y reste encore dix participants pour cent, on pourra considérer que l'humanité est encore secourable. Faut pas rêver quand même, n'est-ce pas ?

Un petit moment de silence.
Cet homme là, il est soudain face à face avec lui même, et c'est pas hyper glorieux. Il gratte un chouïa sur le côté du miroir, pas trop, juste de quoi avoir un visu global. Bon, évidemment il n'a pas pensé que d'essayer un repérage en se regardant droit dans les yeux, ça allait un peu compliquer ses recherches. Parce que là, tout de suite, lui, il voit pas grand chose de nouveau. Ses grands yeux de gosse, un peu éberlués sous la lumière trop vive, c'est la franchise qui ne sait pas se faire petite, elle alpague, il a pas le temps de dire ouf qu'elle l'a choppé par les cils et c'est carrément pas super agréable. Mais quand faut y aller... 
D'accord. L'homme sait, avec la plus parfaite certitude, qu'il n'a pas ce courage là en lui. Mais c'est pas grave, mon gars. T'es pas le seul, même si les autres, à cet instant crucial de lucidité personnelle, il s'en bat l'oeil. Et puis il se souvient de ce que disait son père, les jours de connivence entre hommes. Fuis moi, je te suis. Suis moi, je te fuis. Les gonzesses, mon gars, c'est pas sorcier. Si t'es amoureux, t'es mort. Sauf si tu sais la jouer fine, ta partie. Faut pas montrer que t'as des sentiments, vu que ça nuit aux affaires, les trucs de coeur qui bat à la chamade, n'importe quoi, oh mon grand, tu déconnes ou quoi, redresse toi, rentre ton bide, comment ça se fait que t'as du bide avec tout ce sport dans ton garage, ah c'est la bière, ah ben oui, ça m'étonne pas, tout ton père, bref. OH ! T'es un homme ou pas ?

C'est ainsi que l'homme, le vrai, celui avec du poils sous les aisselles mais pas sur les .... passons, c'est un autre débat, l'épilation masculine à la Dorcel, or donc, l'homme va mettre en pratique les conseils paternels.
Silence radio.
Faut que la gadji elle sente qui c'est le patron.
Ah ça, il est bien inspiré, l'homme.
Puis il lui vient quand même à l'esprit qu'il n'est pas si pressé, après tout, vu qu'il est marié depuis des lustres avec une moitié, certes, passablement effritée, mais enfin, elle fait encore l'affaire, les soirs de pleine lune, de dos, contre la commode de sa mère. Ah non, on a dit pas le mobilier, chaton (et oui, l'homme a des surnoms ridicules, aussi, mais chuttt). Bon ok pour le lave linge, on va gagner du temps en mode essorage, oh putain, 1600 tours, il risque la torsion de la couille droite, mais gain de temps précieux et lombaires protégées, c'est vite vu, vite fait, fait tout court.

C'est certain que si l'homme regarde ailleurs, il n'est pas du tout garanti qu'il prenne ses jambes à sou cou pour vérifier. 
D'abord, c'est fatiguant, et il a plus vingt ans, l'homme. C'est bien joli, ces tentations de la cinquantaine, encore faut-il avoir de bonnes chaussures, de la recharge anti-bb dans sa sacoche de fonctionnaire, des rendez vous réguliers chez le dentiste pour conserver le sourire de jeune homme, les ridules on s'en fout, les cheveux gris on s'en fout, toute façon, y'a plus grand monde au sommet, ça aére bien les idées fumeuses à la con.
Puis un matin, l'homme s'assoit sur le palier de son pavillon de banlieue, il regarde son petit jardin, avec cet oeil satisfait de celui qui a réussi à faire pousser son propre persil, et pas dans ses oreilles en plus. Et il a une révélation.
Il peut peu.

Tout est dit.

Commentaires