Etre cérébrale, c'est pas le pied


...
Et sans jeu de mot, qui plus est.
Cette manie qu'on a de catégoriser tout le monde, c'est franchement désagréable, et en même temps, faut bien reconnaître qu'il y a quelques vérités sur le fonctionnement global des gens.
Evidemment, on a tous très envie d'être un peu spécial, un peu différent, mais pas trop, juste ce petit truc en plus qui ferait de nous un être à part, quelqu'un dont on aimerait être proche, ou encore servir de modèle, sorte de mentor discret mais omniprésent, c'est bien ça qui est le meilleur des deals, toujours là, mais pas là.
Comme j'ai de fort mauvaises fréquentations, de celles qui me renvoient continuellement à la réflexion, oserai-je l'introspection la plus avide, surtout les jours de pluie, et les lundis voués en temps normal à la procrastination la plus totale, j'ai pris mon courage à deux mains, enfin, pour être tout à fait honnête, j'ai posé les appendices sur le clavier, mais pas tout de suite.
J'ai d'abord choisi une playlist adéquate, et pas de chance, je suis tombée sur le grand Georges, avec son Outside, alors bien sur, c'est toujours la faute des autres, mais là, impossible de la moindre concentration, j'ai donc fait à petits coups de pieds d'expert, du vide dans mon salon et me suis déhanchée à me faire un fémur sur le keep on funcky du meilleur effet, sur le moment ; puis Bruno s'est pointé, avec son Uptown, et là, c'est tout à fait irrépressible, vous en conviendrez, mais que faire lorsque le sort s'acharne ?
Une fois la récréation finie, je suis revenue sagement vers mon devoir, celui de vous avertir, vous prévenir de cette espèce en voie de disparition, celle enfin dont il est grand temps de prendre soin. Les cérébrales.
Alors oui, avant qu'un vent de polémique ne secoue les maigres platanes sans feuilles du Prado, je n'évoquerai pour l'heure que l'espèce féminine, on en parle bien que de ce que l'on connaît un peu, c'est un minimum.
Et je vous enjoins à la plus grande attention.
Ces êtres là, je vous le prédis, sont vouées à disparaître, un peu comme la magie du monde et des choses s'est éclipsée sans mot dire, en toute discrétion, inexorablement, faisant place à la réalité toute crue et nue, violente, exaspérante.
Si je vous demande en quoi vous croyez encore, aujourd'hui, qu'allez-vous me répondre ? Je vous en conjure, il vous faut rependre tout à zéro. Il vous faut apprendre à croire à tout ce qui n'est pas tangible, tout ce qui est invisible, tout ce qui demande un peu de confiance en vérité. C'est parti en cacahuète lorsqu'il y a eu cette forme de tollé générale anti-religieux. Presque les croyants, peu importe leur Dieu, avaient honte de le dire. Puis il y a eu le contre courant, les revendicateurs de foi. Entre l'addiction et l'abstinence, il y avait encore un nombre considérable de sans opinion, certes, mais tellement frileux d'afficher la bonne ou mauvaise tendance, que les plus braillards ont pris l'ascendant.
Et pendant ce temps là...
Les cérébrales cogitaient...
Elles avaient, je pense, en toute sincérité, considéré tout ce bordel avec cet intérêt pragmatique que peuvent avoir les ethnologues devant le squelette d'un australopithèque découvert au beau milieu d'un plan de tomates cerise, ah tiens, cela expliquerait sans doute bien des choses, peut être qu'il était végétarien. Ou qu'il plantait lui même ses tomates. 
Bien loin de se contenter du ramdam provoqué par les hérétiques, et leurs contraires contrariés, elles décidèrent de se fonder dans la masse des sans buts ni espoirs, le secret de leurs cœurs n'avaient pas besoin d'être connu, ni besoin d'engrais pour survivre. Il est certaine fleur qui se suffit à elle-même, et l'autarcie dura un certain temps, mais bientôt, il ne suffit plus à alimenter les cérébrales. Elles sortirent un peu la tête du bourbier, ne serait-ce que pour se rendre compte d'où en étaient leurs congénères.
Etonnement et fatalité.
Le commun des mortels est ainsi fait qu'il n'a besoin de rien pour stagner des millénaires. Au mieux, il tourne en boucle sur un mode opératoire aussi con que la pluie, on construit, on détruit, on recommence.
Aparté.
Je me rends bien compte que mon discours ressemble à s'y méprendre à une histoire, de celles qu'on se transmet de bouche à oreille, à l'instar d'une légende urbaine, mais après tout, peut être en est-ce une, comment le savoir. Mais il vous faut comprendre qu'il faut toujours un début, à chaque chose. Les cérébrales, ce sont un peu les nouvelles gardiennes de la petite magie qui reste encore, quelque part, en chacun de nous. Elles pensent, s'extasient, s'exaltent par milliers de fois pour palier à tout ce vide qui dévore les sans opinions, sans foi, juste ce vide incommensurable que rien ne vient plus combler, faute de quoi, faute de mieux, ou de pire, faute à pas de chance, faute avouée, à demie pardonnée.
C'est sur que parmi ces plaintes perpétuelles du Paradis perdu, ou jamais trouvé, les cérébrales ont fort à faire.
Elles font, cependant, soyez en convaincu. 
Une goutte d'eau pur dans un océan de larmes.
Et puis, c'est compliqué de ne pas faillir, de ne pas se laisser submerger de cette abandon général, les yeux fermés aux beautés du monde, de résister à chaque instant à la facilité de n'être finalement qu'instinct primaire, de répondre aux attaques en laissant le cerveau reptilien prendre le dessus. Combien de batailles perdues d'avance pour une guerre qui n'a jamais été déclarée ?
La cérébrale a un fonctionnement spécifique pour se régénérer.
Elle a besoin de stimulations régulières.
Elle se satisfait de peu, et parfois, cette infime dose nécessite une patience angélique, que la cérébrale accepte, avec la conviction extraordinaire que tout est possible. Et en effet, cela est.
Elle ne recherche pas l'amour.
Elle l'est. C'est inéluctable, lorsqu'on y pense.
Elle n'attend rien ni personne.
Elle est celle qui vient.
Elle vibre de cette mémoire collective qu'elle appréhende avec cette compréhension intuitive inexplicable.
Et plus que tout, elle pense.
Tout le temps.
C'est un peu son talon d'Achille, d'ailleurs. Elle ne sait agir sous l'impulsion, sous peine de dériver considérablement et son radeau de la méduse n'a rien de folichon, alors elle préfère s'abstenir. Elle envisage tout, de telle façon que souvent, le temps est passé. Mais qu'à cela ne tienne, elle n'est pas pressée. Le temps, c'est la richesse de ceux qui ont déjà tout.
Attendre, c'est par déduction le début.
Et tout nécessite un commencement.
Il était une fois...

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