Le concept de Frankestein ou la tranchée des filles perdues


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Un jour, il y a eu Madame Shelley, et sa créature.
Une fois oubliée l'affaire des corps déshumanisés découpés, puis réajustés pour en faire un être unique, on pourrait se prendre à relever le concept, juste le concept.
La duplicité de certains de nos congénères nous ferait presque regretter de n'être que pacifiste, au fond. Aussi, à des fins de représailles virtuelles, on pourrait se plaire, un instant, à imaginer de quelle façon on aurait pu, nous aussi, fabriquer un être qui soit à la fois complémentaire et différent.

Ce qu'il te faut retenir, c'est que personne n'est parfait. 
Si tu crois sérieusement que tu peux prétendre au titre, c'est qu'on a un vrai problème à résoudre. Du genre un mètre quatre vingt sept.

C'est qu'on y croit, au départ. Quand tu n'attends plus rien, ni personne, et qu'un matin, il y a soudain ces yeux qui te reconnaissent, comme si tu étais la plus belle surprise de la journée,  et bien que cela te semble tout à fait incongru, ce petit sursaut dans ton inconscient qui te chuchote que c'est possible, et c'est déjà trop tard, en fait.
Et bien que ton puzzle soit improbable, que les pièces que tu as en main ne correspondent en rien à celles qui sont manquantes, et bien tu plonges dans un fantastique déni, une glissade volontaire vers ce que j'appellerai aujourd'hui, la tranchée des filles perdues. Alors bien sur, c'est pas la folie sur le boulevard, puisque tout ce petit monde tourne en boucle sur son égo qui a tellement besoin d'être rassuré d'être, juste être, même pas en état, à peine une petite preuve de son existence, c'est dire à quel point les dés sont pipés, les peucherettes ont bien d'autres soucis en tête que de se taper la causette avec les copines qui errent comme elle, dans cet espèce de tunnel tout pourri, hyper mal éclairé, avec des trucs super glauques qui pendent au plafond, un sol des plus douteux, ça glisse, ça crisse, ça couine, ça ouine, ça coince, bref, c'est pas la panacée, du tout.
Vous vous demandez sans doute mais qu'est-ce que fout tout ce petit monde dans un bourbier pareil, et en effet, après les dans quel état j'erre, on espère bien que ça va remonter fissa à l'étage, au du moins, retrouver l'entrée principale. 
Pas si simple.
C'est que la perte identitaire est un sacré beau bordel, figurez-vous !
Entre les victimes de manipulateurs pervers narcissiques, les crises de la quarantaine, les en modus operandi je m'aime pas, je m'aime plus, je m'aime trop, les invertébrées inconséquentes, les conséquences d'une lecture abusive de magazines, les femmes en mal de tout, celles en terminus, les débutantes, les paumées, les angoissées, les fortes en maths, les fortes en t'aime, les balèzes en sexologie, les incultes, les so cute, et bien ça en fait, des tranchées remplies à ras-bord.
On avait pensé à placer un peu partout des sorties de secours, pour optimiser les évacuations spontanées. Résultat, des talons cassés, des jupes déchirées, et quelques échappées trop vite, à la lumière trop crue, trop violente pour des rescapées du vide affectif.
Par la suite, on créa des escalators fleuris, avec de la musique baroque en fond sonore, histoire de booster un peu l'envie de vivre quand même. Les fleurs, ça a drôlement bien marché. Le baroque, nettement moins. Plusieurs tentatives plus loin, la Samba a posé son tempo de résurrection, et les remontées électriques adoptèrent un rythme qui respirait aussi gaiement qu'un cœur à nouveau opérationnel. On avait frôlé la catastrophe, clairement. 
On s'est sans doute dit, un peu plus haut, que de toute façon, toutes ces âmes en quête allaient bien finir par remonter vers la lumière du jour, sauf que non, elles sont restées. La fange n'est pas si déroutante lorsqu'on est embourbé depuis longtemps, c'est tiède comme un pelage de chaton, c'est doux contre les peaux abandonnées, toutes desséchées de solitude, c'est comme une caresse qui n'en finit pas, qui s'immisce dans tous les interstices, rien n'est plus sans contact, parce que finalement, c'est bien de ça qu'il s'agit, le contact.
Elles ne remonteront plus, sous aucun prétexte, sauf nouvelle promesse.
Ce qui finira par arriver, inexorablement, aussi certain que le chiffre 17 est un nombre premier que j'affectionne avec toute ma déraison dérangée, juste parce que je suis née un vendredi matin, que ce 17 n'est rien d'autre qu'un vendredi tendre comme les mains de ma mère, qu'il possède la même bienveillance aimante dans ses yeux, son sourire qui répare mes ailes de femme libre, de celles qui ne peuvent rester dans la tranchée putride à la recherche d'un moi qui serait autre que moi. La confiance est la meilleure des armes qu'une mère puisse offrir à son enfant, la capacité d'aimer n'est qu'un dommage collatéral. On garde tout, c'est un pack indissociable.
On a décidé de virer les escalators.
A force de mâcher le boulot pour les autres, on ne les aide plus, on les laisse la tête sous terre, et c'était pas du tout l'intention initiale. On a juste arraché les portes, les fenêtres, les murs, tout ce qui avait été rapporté petit à petit, chacune emmenant dans son désarroi tant et tant qu'il y avait en bas un sacré capharnaüm, on n'arrivait plus à distinguer le réel du fantasme, les femmes, des hommes, la mixité n'était pas une évidence au départ, mais dans la désillusion, la détresse, il n'y a plus de sexe. Il y a juste du cœur brisé. Et la parité n'a jamais été aussi parfaite dans toute la nature humaine. Comme quoi, à chaque malheur est bon, tout dépend de l'angle, de la perspective, et de l'endroit d'où l'on se penche, si on tend la main, ou si on regarde juste, voyeur un peu contrit, tellement content de ne pas en être. Faut pas rêver, si tu respires, tu auras ta part, comme tout le monde. C'est simplement qu'on est pas tous égaux face à l'adversité, rien d'autre.

On s'était pris à croire qu'en croisant les espèces, les ex-pèces, on aurait pu créer un être idéal.
On a vécu la descente purgative, on a bien compris que vraiment, en autre temps, on serait arrivé sur une plage aux Bahamas, mais que là, zéro, c'est le Bd de la libération, au mieux, et c'est déjà une belle avancée, vue la configuration dégueulasse. On a relu plusieurs fois le passage de Mary, lorsque la créature prend vie, les éclairs dans le ciel, la foudre, oui, la foudre, tout ce qui anime la colère divine, les dieux anciens, les nouveaux, les je crois en toi, je crois en rien, je crois qu'en moi, je ne sais plus que croire. On a vu de nos yeux écarquillés sous la surprise incommensurable, les cicatrices de tous ces morceaux de chair brûlée se contracter sous la chaleur des flammes stellaires, on a senti ce souffle fou de la vie qui s'anime, qui hésite, qui cherche un chemin, y compris dans une création parfaitement inacceptable, indigne.

Alors quoi ?
Comment survivre, après la vision de la décomposition qui résiste à l'appel de la mort, contre attente, contre toute logique ?
La réponse se trouve dans la question.



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