Ce silence qui nous tord


...
J'ai ouvert grands les volets, ce matin.
Je voulais entendre le bruit sec de ce claquement caractéristique contre le vieux mur de la façade. Je l'ai fait côté salon, parce qu'il y en avait plus. J'en ai eu six. Une salve pour un lever que j'espérai en fanfare. Déceptive, la batterie improvisée. Ce ne sont que quelques vieilles planches vermoulues malmenées d'un geste contrarié, j'en ai presque eu honte, de m'en prendre à elles. J'ai pas osé les plaquer contre le crépi, je leur laisse quartier libre pour la journée. S'il vente, elles pourront s'amouracher du souffle, tant qu'elles ne s'arrachent pas avec mon obscurité promise...
Je suis en souffrance.
C'est pas de moi, de me sentir démunie comme ça.
Ce qui m'abat aujourd'hui est une arme redoutable, la seule contre je ne sache rien faire, moi qui ne vit que de paroles échangées, de murmures comme des gourmandises précieuses, de cris aussi parfois, en explosions joyeuses, je respire, j'exprime, je suis ainsi faite. Dès que j'ai su parler, je me suis engouffrée avec un bonheur sans faille, lançant au hasard des croisements, mille et mille passerelles d'échanges à venir. La communion entre les êtres est une merveille absolue, je suis incapable d'imaginer un monde sans cette fourmilière étonnante de langages.
Et lorsque les mots ne suffisent plus à atteindre l'autre, mes yeux, mes mains, mon visage tout entier, mon corps s'il le faut, tendent à dire, se faire comprendre, se faire entendre, malgré le lien compliqué. Je ne sais pas passer devant vous, sans vous voir.
Ceci est mon fonctionnement.
On ne peut pas déduire qu'il s'agisse du votre, ce serait parfaitement naïf, et je l'accepte. Les êtres ne sont que diversité plurielle, alors oui, la considération de la différence, c'est déjà l'acceptation de ne pas être entendue. Je ne dis pas, comprise, parce que la communication peut être autre, sous-jacente, subliminale, parfois minable. Autant rester factuelle, lorsqu'il n'y pas plus rien, ça fait moins mal au cœur.
Il y a aussi ce distingo terrible entre un échange placé sous le signe de l'affect, et tout le reste. 
J'ai tendance à poser le premier tout en haut, sur le podium, parce qu'au fil de mes pérégrinations, il est clair que c'est l'amour qui guide mes interrogations, depuis toujours. Sans doute que tout a commencé à l'instant même où j'ai pu prononcer mon premier mot. Je jurerai que ce fût un " pourquoi " qui a, probablement, remis tout le monde à sa place, à l'affût d'un maman/papa sempiternel. Il m'apparaît qu'il était inutile de les nommer, ils étaient là bien avant moi, autant ouvrir les yeux sur ce qui s'offrait alors à l'enfant dont il est question, n'est-ce pas ?
Il m'est arrivé quelquefois de me retrouver face au silence de l'autre, ce que j'ai toujours trouvé inacceptable. Je le vois comme un déni de l'autre, ce refus à la parole.
C'est dire, sans prononcer la moindre parole, que l'autre n'est rien.
Parlez-vous à l'insignifiance ?
Non.
C'est exactement de ça dont il s'agit.
Evidemment, on ne peut pas remettre en cause notre propre existence, uniquement sur ce que pense de nous, l'autre antagoniste.
Pour autant, cela reste blessant. C'est comme un coup de pied dans le lac tranquille de notre conscience profonde, celle dans laquelle tout est quiétude, sérénité, la joie ineffable d'être juste soi. Je n'affirme pas que tout le monde possède cet havre de paix, juste que je sais où le trouver, en ce qui me concerne.
J'y ai pensé toute la nuit.
Je comprends ce matin, en écrivant mon chagrin, qu'il me fallait simplement attendre que le trouble de cette eau-ressource se calme, pour retrouver sa limpidité, sa lumière tendre et douce, de celle dont je veux me baigner pour les moments de doute. Ma tendresse, celle que je vais donner plus tard, comme quelque chose de naturel.
Il y avait le silence des mots.
Leur poids, aussi.
Leur musique, sur laquelle je danse à chaque instant.
Leur douleur.
Leur couleur.
Aujourd'hui, je considère que ce sera une jour en rouge. Et toutes les rimes acceptables, les jeux entre elles, le je, les elles, les ailes aussi, tout, vous dis-je, nous prendrons tout.
Et ce soir, au déclin d'un ciel transparent, nous verrons bien, qui de nous deux, aura l'esprit en fête et la tête remplie de petites pépites vermillon.
Je me fais chercheuse d'or.
Laissez couler vos ruisseaux, j'arrive...

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