Jour 5 : Dimanche matin




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Les vacances, je les aime sans plan sur la comète.
Systématiquement, y'a la moitié de tes connaissances qui te demandent, la jalousie prête à bondir du fond de leurs prunelles, la destination de tes sacro-saints congés payés. J'élude à chaque fois, avec une certaine malignité. Je suis une vraie citadine, je ne le dirai jamais assez trop. J'aime la ville, les rues désertées de la cohue urbaine pour cause de départ le plus loin possible. Il me faut rectifier. J'aime la ville sans les gens. C'est un sérieux paradoxe. Seconde correction. J'aime bien qu'il y ait des gens aussi. Juste assez pour avoir le temps de les regarder. D'échanger un sourire. Peut être un jour, un signe de la tête. Dans quelques semaines, je me baisserai pour flatter le petit chien au bout de la laisse. Non pas que j'aime particulièrement les chiens. Juste celui là qui est vraiment rigolo avec ses moustaches de contrebandiers, et ses gros sourcils à la Raimu.
J'aime vivre dans mon quartier.
Il y a les petits commerces.
J'adore sans conteste les derniers bastions de l'humanitude sociétale. 
Ce sont nos points d'ancrage, nos voisins ; on les sollicite pour un peu tout et n'importe quoi, parce qu'ils connaissent tout le monde. C'est leur métier, d'être au fait des potins de la rue. Ils savent apprécier les nouveaux phénomènes à peine débarqués, les vélos partout, les trottinetteurs feignasses, les tongs à poils synthétiques, les shorts pour tous, les faux cils à la Kardashian, le burger hallal obligatoire, la révolte attendue du sandwich au saucisson français dans du vrai pain à la mie aérienne.
Mais plus important que tout, ils sont là.
Les riverains comme moi ne s'y trompent pas. Ils sont fiables, nos petits commerçants. D'où mon boycott des grandes surfaces depuis quelques années. Si j'ai une ampoule à changer avec mes plafonds à 3.50 mètres de hauts, et que mon échelle associée à mon mètre soixante ne suffisent pas, c'est pas au Supermareuxché que je vais aller chercher de l'aide. Par contre, dans un rayon de cinquante mètres, il y toujours au moins l'un d'entre  susceptibles de filer un coup de main. Juste par gentillesse.
J'aime bien n'avoir qu'à descendre de chez moi, traverser la rue et avoir tout ce panel de possibilités. Il se trouve que je vis à côté d'un carrefour central très achalandé. Pour aller à la plage, je n'ai qu'à grimper dans un bus, et j'y suis dans les vingt minutes. Pas de bagnole, acte écologique héroïque. On me demande souvent comment je fais, sans. Et bien, je marche. Plus que la moyenne sans doute. Je ne conteste pas que je râle après les transports en commun, insalubres, mal agencés, ultra bondés (avec ce qu'on vient de vivre, c'est un peu le comble, de se retrouver sans aucune distanciation MAIS avec le masque, enfin, à peu près). Mais un marseillais qui râle est un marseillais en bonne santé. C'est pareil pour la mauvaise foi. Et l'exagération chronique...
Les vacances pour moi, tiens, pas plus tard que ce matin.
Levée à 6 heures et des brouettes.
Tadaaaaaaam.
J'adore.
Le monde m'appartient. 
Tout le monde dort.
J'ouvre grand les volets, et la fraîcheur s'engouffre vivement dans la maison, c'est tout juste incroyablement délicieux. Pour un peu, on se croirait à la campagne. Et les petites rues d'où je t'écris sont restées des souvenirs d'avant, avec des angles biscornus, des vierges sculptées qui surplombent les trottoirs tout de traviole, les travaux commencés y'a des plombes, toujours en cours, jamais totalement finis, avec des bennes abandonnées aux mouettes,  à ceux qui n'ont pas grand chose et qui se servent dans les containers neufs de la ville.
Et ça sent pas mauvais. Pas dans ma rue, en tout cas.
Ce matin, justement, ça sent le jasmin, et je sais d'où ça vient. Deux maisons plus loin, y'a des jardinières furibondes qui embaument. J'ai essayé d'en avoir chez moi, le chat a tout boulotté. 
Du coup, ça me donne envie de garnir à nouveau mes fenêtres, celles côté rue, parce que les autres, côté toits, elles le sont déjà. Géraniums anti moustiques. Ce qui ne marche pas terrible, mais c'est joli quand même.
Vue l'heure, je me suis dit, chouette, j'irai encore me baigner ce matin à la fraîche, comme toute la semaine. Mais non. J'ai écouté ma flemme toute nouvelle. J'irai demain. 
J'ai regardé l'appartement. Tiens, je devrai faire un peu de rangement. Mais non. Pas mieux. J'ai plutôt pris un second café, que j'ai dégusté les pieds sur la table, avec mes fenêtres grandes ouvertes, ce semblant de Mistralet qui chatouillait mes arpions en éventail. J'ai jeté un œil amusé sur un exemplaire des Bidochon, leur histoire d'amour. Très très drôle. 
Et soudain, il était dix heures !
Tu vois, comme c'est facile d'être juste bien.

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