Vacances : Jour 1


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Le décompte commence un mardi. Parce que les lundis au soleil, c'est toute l'année, dans mon planning boulot. Quand je pense que pendant des années, je voyais arriver ce début de semaine comme une sorte de malédiction fatidique. Déjà gamine, je détestai les dimanches soir. D'une part, j'avais rarement fait mes devoirs pour le lendemain, la certitude d'une sanction ne faisant qu'à peine frémir ma précoce procrastination. D'autre part, c'était surtout synonyme de règlement, d'obligations ;oserai-je un " de mise sous cloche de mon libre arbitre " ? La contestataire silencieuse  ne le restait pas longtemps... Aussi, ce lundi chômé inespéré a sur moi un aura diablement délectable. C'est mon créneau favori réservé aux plaisirs. Prendre soin de soi. Se faire du bien. Ne tendre que vers du bon. Le secret, c'est de ne pas en attendre trop. Gourmandise, oui. Boulimie, non.
C'est ainsi que j'ai appris à distiller les satisfactions.
C'était une sacrée bonne idée. Les saveurs sont bien plus subtiles, les temps se suspendent pour un maraboutage du sablier, et chaque grain glisse avec une nouvelle lenteur.
Sauf qu'hier, mon lundi a été salement gâché.
Pourquoi c'est sur moi que ça tombe ?
Il n'y a aucune réponse à ce genre de question pourrie.
Encore une fois, juste ce qui est,  il faut le prendre tel que. Dans une sorte de regard factuel sur soi même. Et accepter que cette grosse prise de conscience va sans doute s'assortir d'une bonne vieille migraine à l'ancienne. Comme ça, c'est fait.
Donc.
Aujourd'hui.
Jour 1.
J'ai passé mon nouveau maillot, celui avec des anneaux argentés sur les côtés, et j'ai filé à la plage de bon matin. Elle était vraiment fraîche, un peu effet glaçon sur peau pas encore moite, mais encore un peu endormie. Il y avait cette femme d'un âge certain, brune comme une baguette bien cuite, et la verve des gens d'ici. Et cette bourgeoise du 8ème, avec ses enfants, petits parisiens à la fois perdus et penauds, dans notre rade du Prado. C'est que j'aime par dessus tout, chez nous. On glisse dans l'eau, et on est soudain voisins, on se connaît pas, mais on s'intéresse, on se regarde vraiment, sans chichis, on est fait tous pareils, certains mieux agencés que d'autres, mais en vérité, à Marseille, tout le monde s'en fout du moment qu'il est dans l'eau, qu'il y est bien, qu'il flotte, et ce sourire. Regardez bien ce sourire des gens immergés. Il est si facile, si vrai.
J'ai fait comme les autres, je me suis plongée toute entière, sans réfléchir. Si vous réfléchissez trop, vous renoncez, souvent. C'était à la fois froid et délicieux. Puis je me suis laissée sécher, à mi couvert, entre nuages d'ardoise et percées solaires.
Hirondelles très haut dans le ciel. Frelon asiatique en perdition, probable casse croûte prochain d'un gabian toujours affamé. Des reflets un peu lourds, prémices de la chaleur à venir, sur le gravisable (entre le gravillon et le sable) bien ratissé, presque un jardin zen grandeur nature.
J'entends des rires amicaux, de ceux qui font plaisir à l'oreille. C'est paisible comme un mardi matin de Juillet, à l'heure des retraités et des enfants encore petits, avant que la plage s'emballe, que la température monte, que les corps et les esprits s'échauffent, que les degrés eau/air se jumellent et se fondent, atmosphère quasi liquide.
C'est ici et maintenant.
C'est une heure de bonheur simple.
Je prends.

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