Quand on se lève du bon pied...

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Et que la journée entière ne sera qu'une suite évidente de moments sans heurts, durant laquelle toute action mènera vers quelque chose de positif, on finirait presque par se retourner discrètement, pour vérifier s'il n'y a pas un ange en garde rapproché, juste au-dessus de notre épaule...

Si tel est le cas, j'ai envie d'écrire que c'est pas trop tôt, que tout roule.

Petit débrief idéal.

Lever un chouïa avant la sonnerie du réveil. C'est déjà LE signe que ça démarre en douceur, le machine à café qui ne bloque pas la dosette, la température de la douche, réglée au pifomètre, qui est nickel du premier coup, le métro bondé, certes, mais on a la chance d'être pile contre la poignée centrale, ce qui permet de coincer le sac tout en se tenant fermement, le bus qui part dans une petite minute de rien du tout une fois qu'on est monté à l'intérieur, et une gentille dame qui nous propose sa place, pour rejoindre son rejeton un peu plus loin. J'aime.

Et ça va continuer dans ce sens, encore. 

Souvenez-vous qu'en temps de bénédiction, j'ai tendance à bondir comme une dik-dik, et si le sol me le permettait, j'aurai peut-être un peu frôlé ces nuages parfaits, celui en forme de citrouille avec sa longue tige en tortillon, mais non, je suis restée en sobriété. C'est qu'on a toujours un peu la trouille que ça s'arrête, alors on passe en mode pattes de velours sur moquette, discrétion austère, on survole tout ce planning qui ne supporterait aucun heurts ni gommage, juste sa réalisation en tout point, et ça ressemble à un tableau tellement c'est juste et beau, la peinture est parfaite, le réalisme s'affiche avec la fierté de la transfiguration, il ne reste plus qu'à espérer que ce sera rimer avec toujours.

Le lendemain, vous aurez oublié ces quelques secondes de félicité. Il en restera qu'une vague impression que c'était bien, sans pouvoir déterminer en quoi ni quand ni qu'est-ce. C'est peut être ça, le secret. Un peu comme un nappage brumeux qui chuchote et s'intercale entre nos oreilles, et l'instant.

Il y a aussi cet effet ancré aux tréfonds de votre mémoire, petit post-it agréable, autocollé sur un rideau de perles de rocaille, celui qui sépare hier d'aujourd'hui ; il tintinnabule, cristallin, aussi léger que les souvenirs heureux peuvent l'être, ils nous imprègnent juste et bon.

Il nous faut absolument se saisir autant que cela se puisse, le meilleur de chaque jour. Il s'agit bien de stocker, pour les heures plus sombres, et parfois, ces résidus condensés de bonnes choses seront à même d'être un peu nos madeleines de Proust à nous. Il n'y a pas de méthodes infaillibles pour être heureux. Il peut y avoir autant d'essais que d'amorces infructueuses. Mais au final, cela n'est pas si important. Comme pour tout, il suffit d'essayer. Et la tentative en soi est déjà une petite victoire.

Il se peut que je jongle, moi aussi, avec la brièveté des heures bleues. Alors, je me suis mise à aimer le bleu. Sans doute bien plus qu'une autre couleur. Tous ces bleus, il me semblait impensable de les abandonner derrière un paravent, niant presque leur existence. J'ai appris à les regarder de plus près, les apprécier à leur juste valeur, les quantifier, voire, les organiser par degré d'importance. Il y a des variantes incroyables, le saviez-vous ? Du plus petit bleu, qu'on a pu se faire en se cognant à une poignée de porte, un traître coin de table basse ou un légo oublié par terre, aux plus conséquents. Ces derniers ne sont visibles que pour les plus avisés, les plus observateurs. Il ne s'agit plus de regarder une ombre sur un bras, mais plutôt l'ombre qui affaiblit un regard, celle qui est fugace, si fugitive, que souvent, elle passe inaperçue. Et comme je me suis levée du bon pied, ce matin, je suis capable de changer les couleurs qui affligent. Peut-être est-ce nos lumières intérieures qui ont cette capacité de changer le monde qui nous entoure ? Et aujourd'hui, moi, je ne veux que du ciel dans mes yeux. Du ciel et du nuage, de l'air qui se dévore et change les lois de la physique pour nous faire décoller un bref instant de ce sol si prévisible.

Et lorsque le ciel, mon ciel, aura effleuré mon monde, je saurai qu'il est temps de me reposer. Ce sera mon premier jour. Et mon temps ne fera que commencer. Ce temps destiné au bonheur, celui qui était si proche qu'il m'a fallu des années pour le voir. Parce qu'il n'y a pas qu'au royaume des aveugles que les borgnes sont rois.






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