Lorsque nos corps se fragilisent...

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Et que nous le découvrons, avec une certaine stupéfaction, il y a un temps de flottement, celui de l'acceptation. C'est difficile. Nous vivons en intelligence pendant, allez à la louche, une cinquantaine d'années, avec ce corps que nous apprenons à aimer pour ce qu'il est, et c'est parfois compliqué, cette relation entre nous, et lorsqu'enfin, nous sommes devenus de bons vieux amis, paf, les lois de l'humanité s'en mêlent...

Alors, comme deux compères de longues dates, dont on connaît chaque faille et chaque point fort, on apprend cette fois-ci à jongler entre les petits bobos et les choses liées inexorablement avec une vie qui aurait dépassé la mi-temps. Et c'est terriblement injuste, même si c'est inscrit dans le registre sacré de l'ordre des choses. On naît, on  vit et on meurt. C'est pour tout le monde pareil. La seule différence, c'est l'adjectivisation. On peut naître riche ou beau, mais aussi défaillant ou mal entouré. Idem pour la vie à mener, ou la fin à venir. Et c'est exactement en cela que c'est magnifique.

Si l'on ne choisit pas la naissance, pour le reste, nous sommes largement acteurs de nos vies. On peut prendre de mauvaises décisions, et en souffrir, et recommencer, et toujours morfler, et peut être qu'un beau matin, on va se redresser au beau milieu de notre matelas à mémoire de forme et notre regard aura changé. Notre vision globale, celle qui nous donne des indications sur ce fil rouge que nous suivons, un peu à tâtons, parfois on le lâche, voire, on l'oublie un peu, puis on y revient, c'est ce que certains appellent un ange gardien. C'est ce qui correspond à ce signal inaudible pour autrui, qui pourtant nous rajoute une barrière électrifiée si grand danger imminent par exemple. D'autres évoquent un sixième sens, mais en réalité, peu importe son nom, tant qu'il agit avec nous.

Je viens de réaliser que le mot " mais " est un anagramme parfait du mot " amis ". Comme si nos amis posaient des mais à chaque instant crucial de nos vies, de nos changements de direction. Ils seraient alors les porteurs ineffables de nos MAIS. Et pour tout dire, cela me semble plausible, oui.

Je me demande aussi ce que j'ai avec les murs à relief. Cette espèce de fascination bizarre, comme si je cherchais dans les rugosités quasi-cabalistiques des chemins à emprunter, alors qu'il me suffirait de sortir de chez moi, et emprunter une direction au petit bonheur la chance. Encore faudrait-il pour cela que j'ai cette trempe d'aventurière, celle qui me fait défaut dans les jambes, et qui pourtant galope sans fin dans ma tête. Elle crée ce monde imaginaire que j'écris depuis si longtemps, je lui sais grée d'être aussi frivole, aussi inventive, aussi insatiable. Il y a les écrivains qui cherchent à tout voir, tout essayer, tout déguster. Il y a aussi les comme moi. Qui ne savent qu'inventer, et réinventer sans cesse, pour nourrir cette faim inassouvissable d'aventures, de tentatives, d'impasses sombres ou colorées, n'usant à leur service que les mots, tous ces mots, briquettes de savoir à des fins de recevoir, la création n'existe que par l'envie de faire, de donner et d'apprendre.

A chaque nouvel arrêt involontaire, j'apprends la gratitude. Certes, ce corps n'est plus aussi fiable, et souvent, il me désespère par ses petites trahisons, mais enfin, il est toujours là, à me porter contre vents et marées, et en cela, je ne peux que lui tirer mon chapeau. Il sait me rappeler à l'ordre s'il m'arrive, encore, d'oublier un instant que, non, sauter par-dessus la barrière d'accès au métro, ce n'est pas du tout une bonne idée, même si je jalouse secrètement celles et ceux qui osent, prenant appui, et parfois d'une seule main encore, pour se projeter avec souplesse, faisant la nique aux contrôleurs, aux bons payeurs aussi.

Oui, je continue d'apprendre de la matière dont je suis faite, et je la trouve de bonne composition, vraiment. Mes parents peuvent être fiers d'avoir bien oeuvrer à me donner cette vie. Je n'ai pas toujours fait du mieux, j'ai traversé des années bleues, dans l'insouciance de la jeunesse, et c'était de bien belles années, avec le recul. J'ai bien conscience qu'on dirait que j'ai cent ans, à me lire. Et peut-être les ai-je, d'une certaine façon ? Il paraît que certaines périodes comptent double, alors j'aimerai choisir s'il vous plaît. Je veux bien multiplier le temps des amours, le temps des espoirs, le temps d'avant la vie d'adulte, ces précieuses semaines durant lesquelles il me suffisait de fermer les yeux pour imaginer à quel point tout était possible, juste là, à portée de mes mains.

Et ce soir, je voudrais remercier ce corps, le mien, qui est à la fois mon bastion, mon antre de repli, mon coffre au fort, mon étendard, ma proue et ma poupe. Lui et moi, nous allons nous redresser fièrement, enfin, si notre arthrose le permet (rires). C'est que nous avons encore tellement de routes à parcourir, qu'il nous faudra pouvoir regarder loin, avec confiance. 

Fragile, certes.

Mais pétri de force vive. C'est une certitude.




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