Ce jour plongée dans l'oubli des autres

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C'est comme un avertissement, pour l'avenir. Ne reste plus dans ce silence, réagis. Je ne fais que parler, toujours, tout le temps. Je raconte, j'essaie d'être la plus juste possible, avec tout ce que cela suppose d'adjectivisation, de superlatifs, de super-actifs. Et c'est comme si je pissais dans un violon. Pas d'Ingres. Un instrument dont je ne sais pas jouer, je ne saurai sans doute jamais, non pas que je ne saurai, juste que mon énergie se retrouve ailleurs. Et j'ai l'impression affreuse que tout m'échappe sans cesse. 

Aujourd'hui, j'aurai voulu qu'on pense un peu à moi.

Ma détresse ne sait pas se dire. Vous la présumez. C'est déjà bien, pensez-vous. Ce n'est qu'un écueil visible lorsqu'on est tout près, prestement recouvert d'un fatras léger d'algues flottantes, alanguies, ballotées entre deux eaux. Celles qui semblent si calmes, et les plus sombres, celles qui me font si peur.

J'ai espéré que vous seriez un peu là, aujourd'hui.

Juste aujourd'hui.

Me solliciter, même si je ne réponds pas au téléphone. Que je fais la Diva, en remettant à plus tard. Comme si ma vie était à ce point furieuse, agitée et pleine à ras-bord, tu parles Charles...

Je m'essaie aux vieux standards italiens, Se bastasse una canzone... C'est encore plus outlet qu'un vieux jeu video destiné aux boomers.Merde. Una lacrima sul viso. Je ne pleure que rarement. Extérieurement, veux-je dire. Je ne sais plus trop le faire. Et si d'aventure cela m'arrive encore quelquefois, je m'en excuse systématiquement auprès des personnes présentes d'aventure. Ce qui rend le malaise plus palpable, plongeant le témoin dans des affres d'indécision. Fuir ? Tapoter l'épaule ? Cette année, j'ai vécu deux grands chagrins. Deux départs qui m'ont littéralement flinguée. Personne n'a jamais eu l'idée de me prendre dans ses bras. Personne. Ma détresse doit vraiment être effrayante, finalement.

Autant la garder pour moi.

Je ne fais exception qu'ici. Cet atelier d'essais, c'est mon chez moi. Je laisse la porte entrouverte, dès fois que ça puisse aider quelqu'un, qu'une personne peut être s'y retrouve, soit sensible à toutes mes tentatives, parce que vraiment, je ne lâche rien. 

Et pourtant, rien n'est donné dans ce bas monde. 

Je suis comme ma boulette, qui observe sur le rebord de la porte fenêtre, immobile derrière le fer forgé de la balustrade Haussmannienne, la vie des autres par bribes, quelques mètres de bitume sur lesquels se concentrent les pas des citadins pressés.

Ce n'est pas d'un intérêt fou, ces gens. Pas plus que les trains qui passent devant les troupeaux de vaches, c'est dire.

Il y a eu ces quelques minutes, tantôt, qui ont été si dures à encaisser, je me suis sentie totalement abandonnée de tous, et ce qui me faisait le plus de peine, c'est que j'avais pleinement conscience de ma responsabilité de cet état. 

Non, la fuite n'est pas la meilleure solution au monde pour se sociabiliser. Mais comment faire alors que les autres se trouvent en décalage émotionnel avec moi, et ce, la plupart du temps ? Il y a aussi cette dimension et ce distingo entre les plages horaires destinées au boulot, et ces quelques heures échappées à ce planning figé, celui qui ne me laisse respirer à mon rythme que deux jours par semaine, et encore, je ne suis même pas certaine d'être libre dans ma tête, clairement pas quarante-huit heures chrono, ça non.  

Et soudain, une voix amie. 

Et je vois bien que c'est exactement ce qui me sauve de ma déroute, à la fin du jour, cette amitié inattendue. 

On ne choisit pas sa famille.

Mais les gens qu'on aime, eux, oui, on les choisit. 

Il y a cet instinct bizarre, le truc inexplicable quand tu rencontres des personnes qui vont vraiment compter dans ta vie. C'est comme un coup de foudre, il y a de l'émoi, de la vibrance. A la différence que cette connexion va perdurer au fil du temps, que ces gens ne seront pas toujours proches, physiquement, mais leurs absences ne seront jamais vécues comme la fin de quelque chose, juste une pause.

Les miens, je peux les compter sur les doigts d'une seule main. Mais c'est une main sacrément fiable. 

Merci pour ce temps que tu m'as donné, qui m'a sauvé de moi.





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