Ce temps précieux que nous laissons filer...

 ... à l'anglaise, en petits grains qui s'écoulent avec la rigueur d'un métronome temporel.

A chaque anniversaire, je jette un coup d'oeil sur le passé. Pas pour le changer, ce serait peine perdue, et j'ai déjà tellement égaré de bonus sur mon parcours, je n'ai pas trop envie de saboter ce qu'il me reste, à dire vrai. Non, ma vision n'est pas amère, ou fort peu. Fille d'assureur, le constat m'est familier, alors oui, je constate. Je visualise assez bien les failles que j'aurai pu éviter, les ronds points qui n'offrent qu'une seule issue, toute autre tentative aboutissant à de l'impasse. En veux-tu ? En voilà. Mes réussites aussi. Mais le challenge n'a pas la même saveur lorsqu'il a été remporté. Finalement, c'est le désir d'arriver, d'obtenir, ou d'envisager, qui est le plus réjouissant. C'est lui qui nous apporte cette adrénaline, ce speed à la limite du tolérable, selon l'enjeu. C'est cette même petite vague creuse dans laquelle on se laisse un peu bercer, aussi bien lorsqu'on termine un texte comme celui-ci, une décoration de fêtes pour quatre-vingts convives ou un spectacle de fin d'année dont les acteurs n'ont plus ni voix, ni mémoire, ni mobilité, mais cette envie d'être encore là, juste cet instinct formidable, enfoui, mais bien présent.

Ce temps qui nous est offert a le mérite d'être.

Après, que l'on décide de n'en rien faire, ou de multiplier les efforts pour vivre mille choses en une seule, cela n'a finalement que peu d'importance. C'est juste tellement formidable d'avoir à disposition un temps non mesurable, comme un super cadeau à durée indéterminée. C'est lui, le vrai CDI. Et nous, dépositaires de cette étonnante constante, nous sommes là à faire comme si c'était normal, comme si cela nous était dû, comme si nous en avions une jouissance illimitée. Sauf que non. 

C'est toute la fragilité de ce temps qui lui en confère toute sa valeur. Inestimable.

On peut passer sa vie à chercher tout ce qui semble important aux yeux du commun des mortels, et oublier que nous sommes déjà riches d'un bien si précieux. Je crois que la maturité nous est acquise lorsque nous sommes en capacité d'appréhender cette certitude. J'en connais qui l'ont compris dès l'adolescence, et ont articulé toutes leurs actions avec cette info incompressible. Moi, j'ai grandi si lentement, je suis tellement à côté de la plaque pour à peu près tout, que je n'ai capté que très tardivement. Je ne cherche pas d'excuses. C'est un fait. Et je ne vais pas tenter un " si j'avais su ... avant ... " qui n'aurait aucun sens. 

Se construire, c'est sacrément difficile. Et laborieux. 

C'est comme avec ce temps, si précieux, éphémère. Nul ne sait  la quantité qui lui sera offerte. Et c'est bien comme ça.

Pour autant, je ne me verrai pas soudain me jeter à corps perdus dans une urgence frénétique de rattraper quoique ce soit. Je crois, à juste titre, que nous vivons ce que nous avons à vivre. Il n'y a pas de regrets à avoir. Au pire, on peut toujours tenter de faire quand même, de réaliser certains rêves avec des années d'écart, on s'adapte, c'es tout. Vous rêvez de voir, de vos yeux, une vraie aurore boréale. Quelle différence cela ferait-il que ce soit à trente ans ou au double, voire au triple ? Peut être serait-ce encore plus beau, plus tard. Mais l'on ne peut que supposer, le passé est derrière nous, nos sentiments fluctuent aussi, comme nos désirs, nos souvenirs eux mêmes se permettent de se flouter, nous filoutent parfois, par exprès, par mégarde, par chance aussi. 

Et ce temps qui passe, il ne s'enfuie pas. Il est comme une rivière qui suit son bonhomme de chemin, dans son lit, avec ses remous, ses eaux calmes, ses rives douces, ses berges roselières, cette faune qui s'agite et respire avec elle, et vibre en son sein, pour un jour atteindre sa mer.






Commentaires