Noel joyeux ?

 ... Il y a longtemps, fort longtemps, j'étais pétrie de convictions.

 Pour à peu près tout.

 Les fêtes de Noel étaient inscrites en lettres magiques, elles avaient l'odeur des brioches de ma grand-mère, les couleurs de son sapin un peu famélique, dont ses misérables branches étaient camouflées sous d'épaisses guirlandes multicolores, et les bruits familiers, rassurants et joyeux de mes cousins, de cette famille paternelle qui envahissait pour un soir et une journée, l'appartement immense de mes aïeux.

Les enfants, nombreux, partageaient une table hurlante, sans complexes aucun, où se réfugiaient parfois les grands, souvent pour ne pas répondre à des questions gênantes, ou rompre un début de dispute comme savent si bien les déclencher les adultes, surtout au moment de la buche, d'ailleurs...

Il faut dire que mamie Jeanne cuisinait comme une cheffe, son antre et ses fourneaux étant formellement interdits à toute moustache ou semblant, et ses filles elles-mêmes n'avaient un passe-droit qu'en direction du balcon, ce qui les obligeaient à discuter à travers la fenêtre entrouverte. Ma mère subissait, plus qu'appréciait, je crois, ces quelques jours de retour dans le giron maternel de mon père. Sa beauté naturelle, son élégance innée sans effort, l'érigeait en quelque sorte en bastion indétrônable au beau milieu de la cuisine de mère-grand, qui montrait avec elle, ses plus vilaines manières.

La vérité, en y réfléchissant deux secondes, c'est qu'elle était encore sous cloche, tant que mon grand-père était présent. C'était un homme d'un bon mètre quatre vingt dix, toujours tiré à quatre épingles, sous l'oeil vigilant de son épouse, chapeauté d'un borsalino de feutre en hiver, de paille fine, en été, chaussé de vernis noires, crocodiles ou tressées selon l'occasion, espadrilles à Beaulieu sur mer, et charentaises confortables en intérieur. C'est de lui que j'ai pris l'habitude de me changer en intérieur. Il avait une collection de vestes très chics, pour " traîner ", la plupart en soie sauvage exotiques, juste pour lire, ou plutôt apprendre par coeur, son journal, sa cigarette négligemment fumée. Je le revois encore installé confortablement à son secrétaire, ou dans son grand fauteuil de cuir. J'étais une petite fille remuante, parfaitement curieuse et attachante, qui zigzaguait incessamment entre ma grand-mère occupée comme une secrétaire d'état, et mon grand-père de président, trônant avec une patience insensée, qui avait réponse à tout, ne se lassait jamais de me regarder impassible dans mes cascades folles. 

Il y avait aussi ces vols de chapeaux que j'exécutai dans la DS, ma grand-mère se transformait en pilote de F1, faisant vrombir l'automobile à chaque feu tricolore, et la tentation était forte de profiter de ma place à l'arrière, pour dérober le couvre-chef du vieil homme qui  signalait la fraude à sa chauffeuse (!), ce qui générait immédiatement une réprimande directive. Je ne rendais pas toujours le chapeau, je le trouvais seyant, et je crois que j'imaginais récupérer un peu du savoir étonnant de son propriétaire...

Il peignait aussi, de bien jolies choses. Un talent dont j'aurai bien voulu hérité, je dois l'avouer. Ce qui me fascinait le plus, c'étaient ses sanguines. Des bateaux, pour la plupart. J'y voyais comme de violentes passions, ces rouges sur la toile, ces mistrals plus vifs par la couleur des traits. Je l'aimais bien.

Il est parti, je devais avoir une dizaine d'années, et je me souviens de ses obsèques, dans un vieux cimetière de campagne, dans un village dont j'ai oublié le nom. Ma grand-mère était anéantie. Elle voulait sauter dans la tombe, et finit par s'effondrer dans les bras de ses fils. Je n'ai jamais vu une femme plonger dans une douleur aussi intense. Il était son grand amour, je crois. 

Du fait, le Noel d'après fut d'une tristesse épouvantable. Je me souviens des visages des grands, plus de sourires ou alors forcés, parce que nous étions là, les petits, pour leur rappeler que c'était jour de fêtes. La cuisine fut faite, elle aussi, par habitude. C'est fou comme les plats avaient encore ces mêmes goûts parfaits, mais la saveur, elle, était toute autre. Je crois que j'ai commencé à ne plus aimer Noel à partir de ce jour là.

Pendant des années, j'ai fêté en famille, avec mes parents, puis petit à petit, cela c'est édulcoré, j'ai commencé à chercher des prétextes pour ne plus me sentir obligée. Maladies imaginaires dont personne n'était dupe, qui me valurent bien des griefs de la part de mes proches.

Noel a failli m'avoir lorsque mon fils est venu au monde. 

Evidemment, j'ai voulu fêter Noel, pour lui, essayant de lui transmettre les quelques années de joies infantiles, celles pendant lesquelles les grands nous font croire au Père Noel, cette blague...

Lui, le Père Noel, je crois qu'il n'y a jamais vraiment cru. Trop pragmatique même tout petit. Par contre, il jouait le jeu, ne serait-ce que pour être enseveli de cadeaux. Son père et moi étions dans la démesure la plus totale. Sa chambre était remplie de paquets, et finalement, c'était d'avantage nous, les gamins, à ouvrir et déchirer tout que nous avions mis des plombes à emballer, y compris cette voiture à pédale en métal qui pesait cinquante kilos, que nous avons trimballée toute une année pour l'emmener à l'école. A l'aller, notre fils pédalait à peu près, nous poussions un peu l'engin, et vaille que vaille, nous arrivions à destination. C'était un moyen plus ludique que la menace, le gamin a toujours détesté l'école et tout ce qui s'y trouvait... Mais le retour... L'engin se trouvant sans conducteur, je vous laisse imaginer les trésors d'ingéniosité pour tracter la bête...

Bref, Noel n'a plus jamais été vraiment, en toute sincérité, un jour de fête.

Ce qui est paradoxal, c'est que depuis bientôt dix ans, je suis amenée, de par ma profession, à faire rêver une centaine de personnes justement sur cette période maudite. Dix jours à jouer le lutin besogneux de Noel, à créer des décorations de table qui chantent les festivités, à organiser des après midi sur le thème, pleurer des paillettes et en suer des étoiles de toutes les grandeurs, à plier des origamis de papier brillant, à faire répéter des chansons de Noel qui racontent les petits rennes, les rois mages, la neige et les santons, les lotos de Noel, les sapins. Ambiance.

Et crac, j'embraye très vite sur le Nouvel An.

Celui qui m'emboucane un peu plus tous les 365 jours...

Mais tout va bien, j'ai un thème en tête pour la semaine prochaine : BLANC ET OR...

Un spectacle à proposer pour jeudi (qui n'est même pas à l'état embryonnaire) ... Deux banquets à concevoir (dont je n'ai pas l'ombre d'une idée) ... Il paraît que je suis toujours plus créative en état d'urgence... On va pouvoir vérifier, du coup...

Joyeux Noel ?

Si vous voulez, oui.



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